Sidney Lumet est l’un des rares réalisateurs à être parvenu à faire d’un premier film son ultime chef-d’oeuvre. Avec Twelve angry men, il signa un long-métrage novateur et puissant de par sa mise en scène. Une production reconnue à l’heure actuelle comme une référence en matière de cinéma. Voici, sans plus attendre, l’exposition de long en large d’un film qui s’est inscrit dans les modèles du septième art.
L’histoire narre la délibération de 12 jurés au sujet de la mise à mort d’un adolescent accusé de parricide. Pour qu’il y ait une sentence prononcée, les 12 hommes doivent être unanimes. A l’issue d’une première discussion, 11 le jugent coupable contre 1 qui a un doute valable… Cet homme, appelé dans le film juré N°8, est porté à l’écran par le talentueux Henry Fonda.
Pour éviter toute confusion, il est préférable d’annoncer tout de suite le risque de désenchantement quant à la vision de l’oeuvre. Le genre du film n’a rien d’un thriller, ni d’une intrigue policière mais bien d’un drame. En d’autres termes, il n’y a pas d’enquête menée pour tenter de connaître scientifiquement les tenants et aboutissants de l’acte criminel. Le film est donc uniquement basé sur le ressenti des jurés et les relations qu’ils construisent ensemble dans la salle de délibération.
Sidney Lumet semble avoir rapidement compris comment faire un bon film en peu de moyen. Comment représenter un nombre suffisant de thèmes, de sentiments et d’archétypes sans utiliser des décors et une action soutenue tout le long du film ? Comment savoir raconter un huis clos qui tient en haleine et basé uniquement sur le dialogue ? Le rassemblement de 12 jurés aux caractères très différents dans le cadre juridique semble être une voie qui affecte une grande majorité d’individus.
Tous, ou plutôt un grand nombre de stéréotypes sociétaux seront représentés à travers les 12 hommes :
N°1 : Porte parole des 12 jurés privilégiant la démocratie quant à la direction de la délibération
N°2 : Chétif et martyre que certains n’hésiteront pas à écraser.
N°3 : Père de famille sans pitié, où l’éducation à la dure des enfants semble être la meilleure solution pour qu’ils ne tournent pas mal.
N°4 : Banquier pragmatique et convaincu des faits exposés. Plus rattaché au Logos qu'à l’Ethos et le Pathos
N°5 : Influençable, pas sûr de lui et victime de préjugés car il vient du même milieu que l’accusé.
N°6 : Simple ouvrier qui n’alimente le débat que par des simples remarques. Il le dit clairement ; c’est son patron qui est amené à faire des suppositions, pas lui.
N°7 : Blagueur inintéressé de l’affaire, voire insouciant.
N°8 : Henry Fonda, le chevalier blanc des jurés. Inversément au juré n°4, il semble plutôt privilégier le Pathos au Logos.
N°9 : Personne âgée, également plus sensible aux bons sentiments plutôt qu’aux faits. Il sera d’une grande contribution en se comparant avec un témoin du même âge que lui pour comprendre son fonctionnement.
N°10 : La soixantaine, empli de préjugés à la limite du racisme. Pour lui, toutes les personnes venant de ce genre de milieu sont les mêmes ; des êtres dangeureux et sans espoir de réinsertion.
N°11 : Probablement le juré le plus imprégné de l’affaire. Se remettant le plus facilement en question, il n’hésitera pas à accepter de revoir en détails chacun des faits pour tenter d’éviter la mauvaise sentence.
N°12 : Homme d’affaire dans la publicité, ne connaissant pas très bien le droit et a du mal à se faire sa propre opinion de l’affaire.
Avec ces 12 caractères distincts, Sidney Lumet parviendra à présenter de nombreuses relations sociales et psychologiques sociétales telles que : le phénomène de groupe, de discrimination et de préjugés, de leadership, de sociocentrisme évaluatif, d'identité sociale, de dépersonnalisation, d'identification sociale, de déviance dans les relations de groupe, de normalisation, de conformisme, de négociation de conflit, de pression majoritaire, de perception et d'influence de la minorité, d'avis sous anonymat ou de manière identifiée, de comparaison sociale, de dissonance cognitive, etc.
Le point fort du film se traduit dans la justesse extrême des dialogues et de l’angle de vue que Sidney Lumet nous propose. Rien n’est grossier, tout est sincère. On ne tombe jamais dans les solutions faciles ou dans les clichés que monsieur tout le monde pourrait faire. Henry Fonda se traduit par un personnage qui n’attend ni plus ni moins que la vérité soit dévoilée en se comportant avec un recul prononcé.
Ce point n’est pas compris par tous les jurés (qu’ils pourraient être représentés par les spectateurs de l’oeuvre). Une scène très utile et nécessaire dans le film est celle où le juré n°7 dit à Henry Fonda lors d’une pause aux toilettes : “Vous autres les Philanthropes, vous êtes tous les mêmes, vous êtes prêts à vous attendrir sur la première cloche venue”. Ainsi, le fait que ce point est remarqué, assumé et même démontré dans le film n’autorise plus le spectateur à pouvoir donner cet argument de “Manichéisme facile”.
Le juré numéro 8 (Fonda) se fera d’ailleurs juger plusieurs fois par les jurés les plus tenaces. On dira qu’il tombe dans les sentiments, qu'il coupe les cheveux en quatre, que ses obervations sont dénaturées en faveur de l’accusé, qu’il a un trop grand coeur et qu’il se trompe de cible. Fonda ne manquera jamais de leur démontrer la réelle vision à entreprendre vis-à-vis des faits par certaines scènes qui restent en mémoire. Notamment la célèbre phrase “Vous avez réellement l’intention de me tuer?”
SPOILER
On peut reprocher au film d’être prévisible, le juré bienveillant qui parvient à mettre d’accord tout le monde et à acquitter l’accusé. Ce qu’il faut plutôt retenir, c’est la manière dont celui-ci parvient à les influencer dans leurs choix, ce qui relève d’un talent que peu de cinéaste ont réussi à retranscrire.
La scène finale est une des scènes les plus anthologiques du septième art. Nous voyons le dernier juré qui, non plus par conviction, mais par orgueil, s’enfonce dans un raisonnement de plus en plus absurde se mettant à dos tout le monde. Son tout dernier argument valable restera un simple “j’ai le droit de garder mon opinion”. A ce moment là, il regarde une photo sur la table de son fils qui dépasse de son portefeuille et fait le rapprochement avec la personne accusée. Par énervement, il se précipite sur la photo pour la déchirer en disant que les gosses le dégoûtent, pour finir en larmes et clamer que l’accusé est non-coupable.
FIN DU SPOILER
Technique :
Le film est caractérisé par une sobriété appuyée. Sidney Lumet maîtrise la mise en scène d’une façon remarquable. La première scène où les jurés se retrouvent dans la pièce de délibération est très longue et rien, ni dans le jeu des acteurs, ni dans la mouvance de la caméra et ni dans la mise en scène, ne montre une quelconque faiblesse professionnelle. Le fond est autant significatif que la forme.
Lumet précisera d’ailleurs :
"J'ai tourné le premier tiers du film au-dessus du niveau des yeux, le deuxième tiers à hauteur des yeux et le dernier tiers en-dessous du niveau des yeux. Ainsi, vers la fin du film, on commençait à voir le plafond. Les murs se rapprochaient, et le plafond semblait s'abaisser. Cette sensation d'une claustrophobie grandissante m'a permis de maintenir la tension jusqu'à la fin où j'ai utilisé un angle large pour laisser le spectateur respirer."
On retrouvera souvent dans les films de Lumet des thèmes récurrents tels que les rapports de l'homme à l'institution, analyse des systèmes de pression, lutte pour la tolérance et la justice.
Avec ce premier film, Sidney Lumet remportera l’Ours d’or du meilleur film et sera nominé aux oscars dans la catégorie du meilleur film ainsi que meilleur réalisateur. Nombreux de ses prochains films seront présentés et vaincqueurs aux oscars. Cependant, Sidney Lumet ne remportera jamais la statuette de meilleur réalisateur ou du meilleur film. Il repartira tout de même en 2005 avec un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière.
Sidney Lumet est mort le 09 Avril 2011 à l’âge de 86 ans et laisse derrière lui une filmographie admirable dans laquelle beaucoup aujourd’hui puisent leur inspiration.
Anecdotes :
- 12 angry men est initialement une pièce de théâtre de Reginald Rose. D’ailleurs Le juré N°9 et le juré N°11 du film de Lumet figurait déjà dans cette pièce dans leur rôle respectif
- Le film est classé septième dans le classement des meilleurs films de tous les temps sur le site IMDb avec une note de 8,9/10.
- Le film a été réalisé en moins de 3 semaines avec un budget de 350 000 dollars.
- Lumet a écrit en 1995 un livre, Making Movies, réimprimé en 1996. Au long de 218 pages, il raconte de façon particulièrement bien organisée ses souvenirs de metteur en scène et en profite pour faire part de nombreux enseignements. A l'occasion de son décès, un journaliste a déclaré que, lorsque ce livre est paru, les directeurs des écoles de cinéma n'avaient plus rien à enseigner car, si leurs élèves lisaient le livre, ils sauraient tout.
Voici une liste des films notables du réalisateur :
- 12 angry men
- The Hill
- Serpico
- Dog day Afternoon
- The Offense
- Prince of the City
- Network
- Running on Empty
- Murder on the Orient Express
Trailer
Hablast.
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