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lundi 27 juin 2011

300 et l'histoire 1/2 by Frisotte

Aujourd’hui je voudrais vous parler d’un film qui a fait couler beaucoup d’encre et entraîner maintes vidéos parodiques sur le net : 300. En effet, je crois que personne n’a échappé à ce genre de vidéos

Mais je ne ferai en rien un pitch du film, ni une critique des acteurs, ou tout autre élément cinématographique, parce que ce qui m’intéresse réellement dans ce film, c’est la véracité de l’histoire.

Sans transition, une erreur majeure du film est le contexte historique. Selon lui (et la BD ?), le roi perse Xerxès a décidé de faire un petit tour en Grèce et d’assujettir tous les gentils Grecs. Il envoie donc un messager à Sparte qui refuse cette soumission parce qu’Athènes a bien résisté aussi, et il n’y a que des chochottes à Athènes. Le roi Léonidas, envers et contre tous, décide donc de se mesurer seul, avec 300 Spartiates, à Xerxès. Les Grecs seront alors tellement éblouis par leur massacre et leur volonté de liberté qu’ils se joindront à leur cause et écraseront les Perses.



Et là j’ai envie de dire : faux, faux, faux, et archi faux.

Petit tour en Asie Mineure. Au VIe siècle, le roi Darius récupère le pouvoir et rétablit l’ordre dans l’empire. Il a la main sur des cités grecques qui font partie de la côte de l’Asie Mineure et qui forment une ligue. En 499 aC, la ville grecque Milet se révolte, et d’autres la suivent. Elles demandent de l’aide au reste de la Grèce et seules Athènes et Érétrie répondent. Elles brûlent Sardes, une ville perse. La répression est immédiate et en 494 aC, les Perses anéantissent Milet. Darius décide donc d’avancer en Europe et menace la Grèce. Il fait une première tentative d’invasion en 492 aC qui rate lamentablement suite à une tempête. Il reprend en 490 aC. Il détruit Érétrie et se rend ensuite vers Athènes. Il y aura alors la fameuse bataille de Marathon. Les Spartiates n’étaient pas présents, malgré la demande d’Athènes, car ils étaient occupés par la fête religieuse des Carneia. Contrairement à ce que l’on pense, le célèbre coureur a été envoyé pour demander de l’aide à Sparte, et non pour prévenir Athènes de la victoire. Toujours est-il que Darius perd et repart. Fin de la première guerre médique.

Son fils, Xerxès, lui succède quelques temps plus tard, et entreprend une immense action diplomatique pour rallier des Grecs à sa cause. Ce n’est en rien un Barbare qui ordonne de massacrer des villages et de former des arbres avec les habitants. Il rallie donc quelques cités de Grèce, et c’est ainsi qu’est créé le verbe « médire ». Il entreprend ensuite une grande conquête de la Grèce, tout comme son père. Tous les Grecs planifient une stratégie pour ralentir sa progression et avoir le temps de former une immense armée. Léonidas se rend donc avec 7000 hommes au défilé des Thermopyles. Il a avec lui 1000 Spartiates, le reste est composé de Platéens et de Thébains. Malheureusement, le Grec Éphialtès indique aux Perses un moyen de contourner leur position. A cette nouvelle, Léonidas renvoie le gros des troupes et décide d’affronter seul, avec 300 Spartiates, l’armée perse, le temps que la nouvelle arrive au reste de l’armée grecque. Il se fait massacrer. Les Perses envahissent l’Attique, détruisent Athènes. Toute la population et l’armée s’étaient rendues à Salamine, une île en dessous. La bataille navale fut un véritable massacre pour les Perses. Xerxès repart. La guerre continue encore une année, où les Perses subissent une défaite terrestre à Platée. C’est la fin de la deuxième et dernière guerre médique.

Différences avec le film :
Il n’y a absolument aucune mention à la première guerre médique. Ce n’est pas Léonidas qui décide tout seul d’affronter Xerxès. Les Spartiates ne sont pas réellement 300, et ils ne se font pas trahir par un Spartiate difforme, mais par un Crétois.

La vie intérieure de la cité comporte elle aussi de grosses erreurs, mais possède également des éléments très positifs.
Ce qui est, à mon avis, le mieux représenté dans ce film c’est l’éducation que suivaient les Spartiates.
Beaucoup de légendes circulent à l’époque antique sur le gouffre de l’Apothètes où auraient été jetés les bébés « non conformes » à la naissance. Même si néanmoins il a été démontré aujourd’hui que ce « tri » était faux, le choix de garder cette légende est positif selon moi. Si l’enfant est correct, il est élevé tranquillement auprès de sa mère jusqu’à ses 7 ans. Il doit ensuite suivre l’Agogé.



Les auteurs antiques aiment beaucoup détailler cette éducation si particulière : n’avoir qu’un vêtement dans l’année pour supporter toutes les températures ; marcher pieds nus constamment pour pouvoir appréhender tous les terrains ; devoir voler pour se nourrir, mais ne pas se faire prendre car l’enfant subira alors la punition d’usage pour le vol, ce qui développe sa ruse. Certains nous racontent que les enfants devant subir une fois dans l’année une séance de flagellation sur l’autel d’Artémis. Entré dans l’adolescence, le garçon passe le reste de sa vie au gymnase. Les Spartiates n’exerçaient absolument aucun métier, ils étaient soldats et rien d’autre. Cet aspect est extrêmement bien rendu dans le film.

L’accoutrement des Spartiates est à commenter.
D’abord, qu’est-ce que c’est que ces épées qu’ils ont foutues aux soldats ? Okay pour le film de pirates, mais alors là, en pleine antiquité, ils se foutent de nous. J’avoue, elles sont plutôt stylées, mais à cette époque, une épée ça a une poignée simple et c’est droit. Il est vrai que les épées spartiates étaient plus courtes que les autres, spéciales pour le corps à corps, mais en aucun cas avec des effets d’arrondis, etc. Je doute fortement qu’ils n’aient eu aucune cuirasse. Ils étaient fringués comme n’importe quel soldat de l’époque, manteau pourpre en plus ; le film respecte bien cette particularité. Je suis sûre que tout ça c’est pour montrer leurs tablettes de chocolat.



Sans transition, la suite plus tard.

lundi 20 juin 2011

300 by Carban

Film anglo-américain-écossais (oui oui) sorti en 2007 et réalisé par Zack Snyder, 300 est l'adaptation du roman graphique éponyme de Franck Miller. Le film nous donne une version assez fantastique et très romancée de la bataille des Thermopyles, qui opposa le roi Spartiate Léonidas, et 300 de ses soldats (pour simplifier le tout).



Synopsis

Le méchant roi Perse Xerxès, tyran travelo de son état, veut dominer la Grèce, et envoie donc un ultimatum à chaque cité : se plier ou mouriiiir. Bien sûr, la fière cité de Sparte, composée de farouches guerriers, refuse le marché, balance le diplomate au fond d'un puits et décide d'entrer en guerre contre une armée énormément plus nombreuse.
Le roi Léonidas, accompagné de quelques 300 soldats décide de ralentir l'avancé perse aux Thermopyles, fin passage près de la mer qui permet de s'enfoncer sur les territoires grecs, alors que sa femme, tente de convaincre les politiciens de Sparte d'envoyer le reste de l'armée pour prêter main forte à son mari.



Analyse

Si on cherche un film historique, on passera ici son chemin. Bien que l'intrigue générale soit assez conforme à la réalité dans les grandes lignes, Franck Miller, puis Zack Snyder ont pris de grandes libertés afin de donner au film une approche plus héroïque, et plus fantastique à l'histoire.
Comme le montre clairement les couleurs de la photographie, les costumes ou certaines situations, le réalisateur veut donner à son film un aspect moins convenu, et s'éloigne du péplum traditionnel.
Si les couleurs et la photographie du film sont à mon sens superbes, il est bon de noter que la plupart des scènes ont été tournées derrière un fond vert, et que les effets spéciaux font des miracles de nos jours. C'est pas moins de 1300 effets visuels qui auront été utilisés dans le film. Autant dire qu'on en trouve partout, dans chaque scène, dans chaque plan.

A partir de là, 300 assume clairement son aspect visuel à la fois étrange et attirant. Bien que le scénario soit assez simple, voire de la taille d'un timbre poste, la force du film vient justement de sa photographie originale, mais également du mythe incarné par ces 300 hommes qui défièrent tout un empire. Si la réalité peut sembler moins glorieuse, les faits ne sont finalement pas si différents que ça puisqu'il y avait une différence énorme entre les deux armées, et qu'à la fin de la bataille des Thermopyles, Léonidas combattra avec ses 300 soldats.

Outre les libertés historiques, le film cherche également à créer sa propre identité, afin de s'approcher d'un univers davantage irréel et divin. Ainsi, on peut le voir dans le traitement que donne le réalisateur à la sélection naturel des nouveaux-nés (bien qu'il puisse s'agir d'un fait réel, soumis à controverse), dans l'éducation des jeunes spartiates (tout aussi réel), ou encore chez les éphores, sans compter l'aspect assez étrange du personnage de Xerxès, grand folle, piercée, à moitié à poil. Mill, et Snyder, dans son interprétation réutilise les faits historiques tout en apportant un côté plus fantastique pour rester dans le ton du film (exemple de la scène avec le loup).



Ces aspects fantastiques et ces libertés n'auront pas été au goût de tous, puisque Franck Miller, tout comme Zack Snyder seront accusés de vouloir donner un aspect sombre et barbare à la culture perse, et 300 sera accusé de film de propagande pro-américain.
En effet, après la seconde guerre du golfe, et les tensions existantes entre l'Iran et l'occident, le film sera jugé comme discriminatoire et propagandiste, afin de glorifier le soldat "blanc" face aux sauvages d'Orient, dénués de toute culture.
Beaucoup de critiques feront des rapprochements entre le cinéma de propagande Nazi et le film de Snyder, allant parfois loin dans la comparaison, certains jouant sur les faits historiques pour discréditer davantage le film.
Le plus amusant seront les critiques disant que dans le film Sparte valorise les valeurs de liberté et de démocratie. Si pour la liberté c'est vrai, il ne me semble pas avoir entendu parler de démocratie dans le film. Comme quoi, quand les esprits s'échauffent...

Mis à part cette controverse sans doute exagérée et facile, le film explosera le boxe office, et pour un budget de 60 millions de dollars, en rapportera quasiment 7 fois plus.



En effet, en plus de l'aspect graphique très remarqué du film, on pourra également attirer l'attention sur ces 300 hommes en slips, bien bâtis, avec un sens de l'humour certain et une envie d'en découdre. Les acteurs s'en sortent plutôt bien, et Gérard Butler est convaincant dans son rôle de roi Spartiate. Les scènes de combats sont très esthétiques, et le réalisateur prend un malin plaisir à jouer avec le ralenti et l’accélération afin de garder un contrôle sur la vitesse de ses scènes d'action, et le pari est réussi. Sans compter qu'il faut le faire : crier comme un farouche guerrier devant un fond vert, et réussir à être convaincant, ça ne doit pas être l'exercice le plus facile.
On pourrait peut-être souligner le manque de charisme chez l'empereur Perse, et on aurait pu s'attendre à autre chose qu'à un géant efféminé, mais au moins on ressent clairement une mégalomanie qui ne peut qu'offenser les dieux.

Autre point fort du film : la musique de Tyler Bates qui est tout à fait dans le ton du long-métrage et qui correspond très bien à cet univers visuel original, à ces scènes d'action, à la vitesse changeante et au traitement global du film.



Pour conclure 300 est un très bon film. S'il ne mise pas tout sur un scénario ultra-complexe, l'univers visuel unique, ses acteurs et les scènes de combats grandioses qui le composent lui donne un attrait particulier. On pourrait presque déplorer la présence des intrigues politiques se déroulant dans la cité, qui font un peu trop remplissage à mon gout, mais ça permet de temps en temps de changer le rythme de film.
On peut également noter que la narration du film est plutôt une bonne idée et reste très agréable, conservant un côté assez littéraire et poétique, donnant l'impression qu'il s'agit d'une histoire contée, ou d'un témoignage écrit.
Bien que la réalité historique passe parfois à la trappe, il est bon de souligner que pour une adaptation de ce type, voulant s'orienter davantage vers un univers fantastique, c'est VOULU, et nécessaire. Et puis pour appelé le film 300, on est bien obligé de faire sans certains détails historiques. Donc s'il est bon de souligner les oublis historiques, il serait bête de les reprocher au film.
Un très bon film de Snyder selon moi, et un bon moment de cinéma pour se divertir et passer du bon temps.

Divers : Il est très agréable de savoir que le film réutilise des citations ayant réellement eu lieu durant la bataille, et que tout n'est peut-être pas aussi fantasmé qu'on pourrait le croire. Mais pour la vision réaliste de la bataille, Frifri nous a concocté deux articles sur le sujet.


Trailer
OST - To Victory
OST - Returns a King
OST - Message for the Queen
OST - Goodbye my Love

lundi 13 juin 2011

Tree of Life de Terrence Malick by Jim




Dans les cinéastes de génie, on compte le très rare et discret Terrence Malick. Génie non pas parce que son film a gagné la Palme d'Or tant convoitée annuellement, mais parce que le réalisateur est capable de créer un univers visuel entraînant, envoûtant dont il est difficile de sortir sans être émerveillé ou mélancolique. Les histoires que la caméra de Malick content ont un goût universel, parlent de la condition (naturelle) de l'homme, vers où ses actes le mènent et le déroutent, et enfin, sur la Nature, celle avec un grand n.
Tree of Life est l'aboutissement de trente ans de recherches, d'idées, de travail, d'une succession d'acteurs et cela se constate par la profondeur de son histoire.

De quoi parle Tree of Life ? De multiples choses, comme de l'enfance, la perte d'innocence, les conflits avec le père qui sont une empreinte du complexe d'Oedipe, l'ombre de la mort, l'appréhension de la maladie, la difficulté d'être, d'évoluer.
Nous suivons Jack, nourrisson, enfant, adulte, en pleine tourmente, dans le doute, la peur, la colère, la découverte, mais également ses parents, le rapport qu'il entretient avec eux, l'intériorisation des phénomènes qu'il observe et qui le troublent, et enfin, ses liens avec ses frères.
Comme la presse l'a déjà dit, une scène plus ou moins longue du film a un air de famille avec 2001 : A Space Odyssey de Kubrick, puisqu'elle présente l'évolution de l'univers, du big-bang jusqu'aux dinosaures. Cette scène intervient logiquement dans le film, puisqu'elle suit la question de « d'où viens-tu ? » que la voix-off pose à ce qu'on peut supposer être Dieu, ou la Nature, l'Univers, qui peuvent également être élevés au stade de divinité et de source de la vie.



Tout au long du film, la voix-off s'adresse à un Tu, un You, dont on ne sait pas grand-chose même si on présage assez facilement son caractère céleste, universel. Les religieux répondront qu'il s'agit de Dieu, le Dieu bienveillant qui a fait la nature et l'homme à son image*. Les athées, agnostiques, ou autres, eux, verront la divinité dans la Nature, dans l'Univers, qui nous a donné naissance.
Cette dernière interprétation est encore plus alléchante de part le fait que Malick a appelé son film « Tree of Life » (l'Arbre de (la) Vie en français), qui peut s'expliquer comme un clin d'oeil au fait que la vie provient des arbres, de la terre et non pas (directement) du ciel.
Néanmoins, Malick n'a pas envie de prendre position sur la question de l'existence du divin : il filme comme à son habitude la Nature avec grâce, réalisme, poésie, et suggère par ses plans que l'eau est aussi porteuse de divinité et d'universel que le ciel.
L'eau est d'ailleurs un symbole très important dans cette oeuvre puisqu'elle annonce la naissance (nous quittons l'eau pour naître), la mort (nous pouvons mourir dans l'eau), la purification (autre allégorie biblique : se laver les pieds), l'au-delà (vers lequel nous tendons).

Tree of Life est un film de Terrence Malick dans les règles de l'art : plans magnifiques qui confèrent une saveur particulière à l'histoire, personnages ni blancs ni noirs dans leur psychologie, scènes jamais prévisibles puisque Malick surprend fréquemment par ses choix de mise en scène et de scénario, et explosion de la beauté de la Nature. Un film de Malick c'est une déclaration d'amour à chaque arbre, chaque ruisseau, chaque goutte de pluie, chaque instant de vérité, de transcendance. Dans Tree of Life, la splendeur de la Vie gifle les rétines, subjugue et emprisonne dans l'émerveillement – ou parfois la tristesse- ceux qui regardent. Jessica Chastain, qui interprète la mère de Jack, est particulièrement mise en valeur : son sourire, son corps, sa présence étincelle, brille, est en parfaite osmose avec la beauté du Monde. Elle représente la mère Nature, celle qui attend, qui console, qui réconforte, qui adoucit les coeurs. Ce personnage est d'autant plus important qu'il contraste avec celui de Brad Pitt.

Dans une interview, Brad Pitt déclarait que Tree of Life est construit comme une succession de « moments captés », que Terrence Malick cherche, lorsqu'il est en tournage, à « saisir des instants ». Cette démarche singulière -puisque très spontanée- se ressent dans les scènes de Jack nourrisson et enfant en bas âge : à aucun instant, on a l'impression de regarder un film, c'est comme si on était devant la scène en vrai, sans les écrans, les caméras. Ces scènes, par exemple, sont des moments criants de vérité, de transcendance, au-delà du jeu et la comédie : ce sont des séquences de vie, de vraie vie. Terrence Malick s'amuse pendant deux heures à nous perdre, à nous provoquer intérieurement : est-ce du cinéma ou est-ce vrai ? Qu'est-ce que le cinéma ? Qu'est-ce que la vérité ?
L'autre exploit de Malick, c'est de faire ressentir. Chaque goutte de sang. Chaque larme. Chaque éclat qui se propage intérieurement. Un film de Terrence Malick, ça se vit, ça se ressent.
Le jeu des acteurs est parfait, réaliste. On y croit complètement. Brad Pitt est un père de famille décevant, un homme instable, incapable de « montrer l'exemple » puisqu'il fait tout ce qu'il interdit à ses fils. Jessica Chastain est le vent caressant, la pluie douce et mélancolique, l'odeur d'une fleur, la douceur printanière, la grâce incarnée. Elle est la Mère du monde, celle qui le tient tendrement dans ses bras. Sean Penn joue furtivement (parce qu'on ne le voit presque pas, la plupart de ses scènes ont été coupées au montage) avec toute la gravité dont il peut faire preuve : son personnage erre dans l'absurdité du monde, des grandes villes, à la recherche de lui-même, du monde, de la compréhension d'une tragédie familiale. Les enfants sont émouvants, entre rires, insouciance, indignation vis-à-vis de leur père et amour fou envers leur mère. Hunter Mc Cracken est spectaculaire dans son rôle de Jack, enfant.



Les films de Terrence Malick ne sont pas pour tout le monde. Les spectateurs « lambda » diront que c'est un cinéma ennuyant, long, lent, chiant, et les initiés ou amoureux de Malick répondront qu'ils trouvent ce qu'ils viennent chercher dans un film du réalisateur : la beauté de ce qui nous entoure, l'introspection, la poésie, la magie d'un cinéaste unique.
Tree of Life est une perle, une réflexion sur la vie, la famille, le sens de la vie. En un peu plus de deux heures, nous sommes transportés dans un autre univers, terriblement réaliste et fantasmé à la fois, où l'apparent silence est lourd, bruyant. Certainement un des films incontournables de l'année à voir sur grand écran pour pleinement profiter de la magnificence du cinéma de Terrence Malick.


trailer


*Notons ici que dans sa séquence sur l'évolution, Malick s'arrête aux dinosaures, il ne présente pas l'évolution de l'homme : est-ce un choix artistique ou politique, dans le simple but d'éviter les débats sur la théorie de l'évolution ?

Sidney Lumet : 12 angry men by Hablast

Sidney Lumet est l’un des rares réalisateurs à être parvenu à faire d’un premier film son ultime chef-d’oeuvre. Avec Twelve angry men, il signa un long-métrage novateur et puissant de par sa mise en scène. Une production reconnue à l’heure actuelle comme une référence en matière de cinéma. Voici, sans plus attendre, l’exposition de long en large d’un film qui s’est inscrit dans les modèles du septième art.



L’histoire narre la délibération de 12 jurés au sujet de la mise à mort d’un adolescent accusé de parricide. Pour qu’il y ait une sentence prononcée, les 12 hommes doivent être unanimes. A l’issue d’une première discussion, 11 le jugent coupable contre 1 qui a un doute valable… Cet homme, appelé dans le film juré N°8, est porté à l’écran par le talentueux Henry Fonda.

Pour éviter toute confusion, il est préférable d’annoncer tout de suite le risque de désenchantement quant à la vision de l’oeuvre. Le genre du film n’a rien d’un thriller, ni d’une intrigue policière mais bien d’un drame. En d’autres termes, il n’y a pas d’enquête menée pour tenter de connaître scientifiquement les tenants et aboutissants de l’acte criminel. Le film est donc uniquement basé sur le ressenti des jurés et les relations qu’ils construisent ensemble dans la salle de délibération.

Sidney Lumet semble avoir rapidement compris comment faire un bon film en peu de moyen. Comment représenter un nombre suffisant de thèmes, de sentiments et d’archétypes sans utiliser des décors et une action soutenue tout le long du film ? Comment savoir raconter un huis clos qui tient en haleine et basé uniquement sur le dialogue ? Le rassemblement de 12 jurés aux caractères très différents dans le cadre juridique semble être une voie qui affecte une grande majorité d’individus.

Tous, ou plutôt un grand nombre de stéréotypes sociétaux seront représentés à travers les 12 hommes :

N°1 : Porte parole des 12 jurés privilégiant la démocratie quant à la direction de la délibération
N°2 : Chétif et martyre que certains n’hésiteront pas à écraser.
N°3 : Père de famille sans pitié, où l’éducation à la dure des enfants semble être la meilleure solution pour qu’ils ne tournent pas mal.
N°4 : Banquier pragmatique et convaincu des faits exposés. Plus rattaché au Logos qu'à l’Ethos et le Pathos
N°5 : Influençable, pas sûr de lui et victime de préjugés car il vient du même milieu que l’accusé.
N°6 : Simple ouvrier qui n’alimente le débat que par des simples remarques. Il le dit clairement ; c’est son patron qui est amené à faire des suppositions, pas lui.
N°7 : Blagueur inintéressé de l’affaire, voire insouciant.
N°8 : Henry Fonda, le chevalier blanc des jurés. Inversément au juré n°4, il semble plutôt privilégier le Pathos au Logos.
N°9 : Personne âgée, également plus sensible aux bons sentiments plutôt qu’aux faits. Il sera d’une grande contribution en se comparant avec un témoin du même âge que lui pour comprendre son fonctionnement.
N°10 : La soixantaine, empli de préjugés à la limite du racisme. Pour lui, toutes les personnes venant de ce genre de milieu sont les mêmes ; des êtres dangeureux et sans espoir de réinsertion.
N°11 : Probablement le juré le plus imprégné de l’affaire. Se remettant le plus facilement en question, il n’hésitera pas à accepter de revoir en détails chacun des faits pour tenter d’éviter la mauvaise sentence.
N°12 : Homme d’affaire dans la publicité, ne connaissant pas très bien le droit et a du mal à se faire sa propre opinion de l’affaire.




Avec ces 12 caractères distincts, Sidney Lumet parviendra à présenter de nombreuses relations sociales et psychologiques sociétales telles que : le phénomène de groupe, de discrimination et de préjugés, de leadership, de sociocentrisme évaluatif, d'identité sociale, de dépersonnalisation, d'identification sociale, de déviance dans les relations de groupe, de normalisation, de conformisme, de négociation de conflit, de pression majoritaire, de perception et d'influence de la minorité, d'avis sous anonymat ou de manière identifiée, de comparaison sociale, de dissonance cognitive, etc.

Le point fort du film se traduit dans la justesse extrême des dialogues et de l’angle de vue que Sidney Lumet nous propose. Rien n’est grossier, tout est sincère. On ne tombe jamais dans les solutions faciles ou dans les clichés que monsieur tout le monde pourrait faire. Henry Fonda se traduit par un personnage qui n’attend ni plus ni moins que la vérité soit dévoilée en se comportant avec un recul prononcé.

Ce point n’est pas compris par tous les jurés (qu’ils pourraient être représentés par les spectateurs de l’oeuvre). Une scène très utile et nécessaire dans le film est celle où le juré n°7 dit à Henry Fonda lors d’une pause aux toilettes : “Vous autres les Philanthropes, vous êtes tous les mêmes, vous êtes prêts à vous attendrir sur la première cloche venue”. Ainsi, le fait que ce point est remarqué, assumé et même démontré dans le film n’autorise plus le spectateur à pouvoir donner cet argument de “Manichéisme facile”.

Le juré numéro 8 (Fonda) se fera d’ailleurs juger plusieurs fois par les jurés les plus tenaces. On dira qu’il tombe dans les sentiments, qu'il coupe les cheveux en quatre, que ses obervations sont dénaturées en faveur de l’accusé, qu’il a un trop grand coeur et qu’il se trompe de cible. Fonda ne manquera jamais de leur démontrer la réelle vision à entreprendre vis-à-vis des faits par certaines scènes qui restent en mémoire. Notamment la célèbre phrase “Vous avez réellement l’intention de me tuer?”

SPOILER
On peut reprocher au film d’être prévisible, le juré bienveillant qui parvient à mettre d’accord tout le monde et à acquitter l’accusé. Ce qu’il faut plutôt retenir, c’est la manière dont celui-ci parvient à les influencer dans leurs choix, ce qui relève d’un talent que peu de cinéaste ont réussi à retranscrire.

La scène finale est une des scènes les plus anthologiques du septième art. Nous voyons le dernier juré qui, non plus par conviction, mais par orgueil, s’enfonce dans un raisonnement de plus en plus absurde se mettant à dos tout le monde. Son tout dernier argument valable restera un simple “j’ai le droit de garder mon opinion”. A ce moment là, il regarde une photo sur la table de son fils qui dépasse de son portefeuille et fait le rapprochement avec la personne accusée. Par énervement, il se précipite sur la photo pour la déchirer en disant que les gosses le dégoûtent, pour finir en larmes et clamer que l’accusé est non-coupable.
FIN DU SPOILER

Technique :

Le film est caractérisé par une sobriété appuyée. Sidney Lumet maîtrise la mise en scène d’une façon remarquable. La première scène où les jurés se retrouvent dans la pièce de délibération est très longue et rien, ni dans le jeu des acteurs, ni dans la mouvance de la caméra et ni dans la mise en scène, ne montre une quelconque faiblesse professionnelle. Le fond est autant significatif que la forme.

Lumet précisera d’ailleurs :
"J'ai tourné le premier tiers du film au-dessus du niveau des yeux, le deuxième tiers à hauteur des yeux et le dernier tiers en-dessous du niveau des yeux. Ainsi, vers la fin du film, on commençait à voir le plafond. Les murs se rapprochaient, et le plafond semblait s'abaisser. Cette sensation d'une claustrophobie grandissante m'a permis de maintenir la tension jusqu'à la fin où j'ai utilisé un angle large pour laisser le spectateur respirer."

On retrouvera souvent dans les films de Lumet des thèmes récurrents tels que les rapports de l'homme à l'institution, analyse des systèmes de pression, lutte pour la tolérance et la justice.



Avec ce premier film, Sidney Lumet remportera l’Ours d’or du meilleur film et sera nominé aux oscars dans la catégorie du meilleur film ainsi que meilleur réalisateur. Nombreux de ses prochains films seront présentés et vaincqueurs aux oscars. Cependant, Sidney Lumet ne remportera jamais la statuette de meilleur réalisateur ou du meilleur film. Il repartira tout de même en 2005 avec un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière.

Sidney Lumet est mort le 09 Avril 2011 à l’âge de 86 ans et laisse derrière lui une filmographie admirable dans laquelle beaucoup aujourd’hui puisent leur inspiration.

Anecdotes :
- 12 angry men est initialement une pièce de théâtre de Reginald Rose. D’ailleurs Le juré N°9 et le juré N°11 du film de Lumet figurait déjà dans cette pièce dans leur rôle respectif
- Le film est classé septième dans le classement des meilleurs films de tous les temps sur le site IMDb avec une note de 8,9/10.
- Le film a été réalisé en moins de 3 semaines avec un budget de 350 000 dollars.
- Lumet a écrit en 1995 un livre, Making Movies, réimprimé en 1996. Au long de 218 pages, il raconte de façon particulièrement bien organisée ses souvenirs de metteur en scène et en profite pour faire part de nombreux enseignements. A l'occasion de son décès, un journaliste a déclaré que, lorsque ce livre est paru, les directeurs des écoles de cinéma n'avaient plus rien à enseigner car, si leurs élèves lisaient le livre, ils sauraient tout.

Voici une liste des films notables du réalisateur :

- 12 angry men
- The Hill
- Serpico
- Dog day Afternoon
- The Offense
- Prince of the City
- Network
- Running on Empty
- Murder on the Orient Express


Trailer

Hablast.

Irma la Douce (1963) by Dylan



"Billy Wilder reconstituait le duo magique et mythique de "La Garçonnière" pour une comédie tout aussi enlevée, mais à la tonalité plus légère." (Allocine)

Je vous avais fait un article sur Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, alors je me suis dit, autant continuer... Je vais donc vous parler d'un autre très bon film qu'il a réalisé : Irma la douce. Né en 1909, Billy Wilder fait ses études à Berlin avant d'aller se réfugier à Paris après la prise de pouvoir des nazis. Il se dirigera ensuite vers les Etats-Unis où il entamera une carrière de scénariste, avant de se se lancer enfin dans la réalisation. Le cinéma de Billy Wilder, ce sont des mots très justes, alliés à des effets comiques qui aident à la construction dramatique tout en faisant rire. Il réalisa tout d'abord des films plus sombres comme l'excellent Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard - 1950). Il ne s'empêchera pas de critiquer des sujets qui lui tiennent à coeur à travers ses films. Hollywood, les mensonges de la presse (Le Gouffre Aux Chimères- 1951) ou bien encore l'humanité elle-même (Assurance sur la mort - 1944). Pourtant, Wilder semble reprendre confiance en l'humanité en réalisant des films plus légers comme Certains l'aiment chaud dont je vous avais parlé avant. Même si le ton et le jeu changent un peu, la critique et l'analyse des faiblesses humaines restent omniprésentes. Encore et toujours, il dénonce le mécanisme de la société, tout en accordant une place importante aux relations humaines et sociales. Ainsi, ses films sont à la fois forts et légers, marquants et divertissants. Quelque soit le film de Billy Wilder, le cynisme aura toujours sa place. Il a souvent été considéré à l'époque comme un réalisateur vulgaire, qui n'hésitait pas à provoquer le dégoût du public. Pourquoi ? Simplement parce qu'il réduit presque tous les mobiles humains à l'argent et la sexualité. Et c'est en quelque sorte, l'histoire pricipale de Irma la douce.

Irma, jeune prostituée interprétée par Shirley MacLaine, est à la recherche d'un nouveau "Monsieur". Dans le film, les prostituées ont toutes un homme, un petit ami qui leur sert indirectement d'agent. Un peu comme un Mac, sauf que les rôles sont un peu inversés. Dans le film, les femmes se prostituent et payent des cadeaux à leur "Monsieur", mais elles peuvent le virer si elles veulent. Il n'y a donc pas du tout les relations qu'on a l'habitude de voir dans les films qui parlent de prostitution. Tout se passe dans un Paris pittoresque et un peu délavé. Irma rencontre alors Nestor, ancien flic qui tombe fou amoureux d'elle et devient son Monsieur. Mais il l'aime tellement qu'il ne veut pas qu'elle couche avec d'autres hommes. Etant donné que c'est elle qui décide, il élabore donc un plan pour qu'elle ne le trompe pas directement. Il se déguise en riche anglais et devient son amant. Ainsi, elle le trompe, techniquement, avec lui, mais sans le savoir. Evidemment, quand on se fait passer pour un homme riche sans l'être, il faut bien trouver l'argent quelque part. C'est alors que les problèmes vont vraiment commencer. Il va devoir trouver un moyen de gagner de l'argent, afin de le donner à Irma déguisé en vieux monsieur riche, pour qu'elle donne ensuite l'argent à... son mec, donc, à lui. BREF, c'est du gros délire... Et parce que les histoires à tiroir sont toujours plus drôles...



"Une photographie à dominante verte, des musiques emballantes, et des références à gogo pour une fable optimiste, sous des dehors loufoques, constamment charmante et inventive." (Allocine)

Le film se passe à Paris mais est joué entièrement en anglais. Evidemment, c'est une vision romantico-pittoresque et très Hollywoodienne de Paris, mais ça n'a pas une grande importance, vu que l'essentiel du film se passe à l'intérieur : soit dans un bar, soit dans la chambre d'Irma. Les images, les décors, l'immensité des plans, tous ces éléments font fortement penser à My Fair Lady, et représentent là encore la grandeur d'Hollywood dans les années 50-60. Mais le thème est ici beaucoup plus osé. La prostitution est montrée ouvertement, mais c'est un film du vieux Hollywood, et on ne voit donc évidemment pas les scènes de sexe. Et évidemment, Irma la douce n'échappe pas au débat sur la prostitution. Faut-il l'interdire ou l'autoriser ? Est-ce malsain ou est-ce que cela vient en aide aux hommes solitaires ? Mais n'ayez crainte, tout est léger, rapide, et présenté de manière humoristique. Le personnage du flic est tout d'abord naïf, et tellement impliqué dans son travail qu'il devient pathétique, et donc drôle. Il essaye lamentablement d'arrêter les prostituées et leurs clients mais réalise rapidement qu'il est le seul à s'impliquer et à en avoir quelque chose à faire.

Irma la douce est un film complet et original, à des années lumière des films que l'on fait de nos jours. La musique est superbe, les décors et les costumes aussi. Peut-être parce que ce fut avant tout une comédie musicale (française, pour une fois). Adaptée en anglais, elle a connu un succès phénoménal, notamment à Londres et Broadway, avec plus de 1500 représentations ! En 1963, Billy Wilder s'empare de l'oeuvre pour en faire un simple film, sans les chansons. Irma la douce, c'est la recette magique du bon film classique. Un acteur phénoménal, figure emblématique de Hollywood : Jack Lemmon. Une actrice plus légère, un peu fofolle : Shirley MacLaine (la soeur de Warren Beatty). Les rôles secondaires sont tout aussi excellents, comme le concierge de l'hôtel, un peu trop curieux, ou le barman qui a fait tous les métiers du monde. Jack Lemmon, déjà présent dans Certains l'aiment chaud, reprend le pari de se déguiser et y arrive encore une fois avec brio. Il devient réellement quelqu'un d'autre, et nous offre là une vraie performance d'acteur. Car nous savons qui se cache sous le déguisement, mais nous sommes tout de même complètement dans le personnage qu'il invente sous nos yeux.



Billy Wilder pour moi, c'est la perfection du vieil Hollywood. L'époque des studios, des grands décors, des grands acteurs. Il reprend le style de personnage qui le caractérise en tant que réalisateur : un personnage masculin très sûr de lui, macho en apparence mais doux en réalité, très fier, qui se heurte à une femme qui prend les décisions sans trop lui demander son avis. Dans l'histoire, mais aussi dans la mise en scène, le film fonctionne un peu comme une pièce de Broadway. Paris a été reconstitué par un décorateur habitué aux films de Wilder (Alexandre Trauner). Les décors sont construits pour être "face public" (face caméra), et les acteurs n'ont pas un jeu très réaliste (mais ça marche superbement bien, quelque soit l'époque). Ils font des petites mimiques théâtrales, et prennent indirectement (puis directement), le public à partie. Ici, pas de twist ending, le spectateur a toutes les cartes en main, et ne sait pourtant pas ce qui va bien pouvoir se passer par la suite. Le film est bourré de rebondissements très fins, qui rappellent certaines comédies de Chaplin : ça va toujours plus loin, et c'est toujours plus drôle. Cynisme, humour noir et superbe mise en scène... Entre mensonges et quiproquos, ce film est un véritable régal.

dimanche 5 juin 2011

Shining de Stanley Kubrick by Jim

« Come and play with us Danny... Forever and ever and ever. »



En 1980, le monde tremble devant Shining, le onzième long-métrage de Stanley Kubrick, adapté du roman de Stephen King. On crie au génie : l'excellent Kubrick prouve encore une fois son talent incontesté pour mettre en scène des histoires et jongler avec les genres cinématographiques, puisqu'ici, il s'est essayé au film d'horreur/fantastique.

Derrière Shining, il y a un roman du maître de l'horreur, Stephen King : une histoire de fantômes, d'un hôtel maléfique, mais également d'une famille. Séduit par le livre, Kubrick s'enferme avec Diane Johnson pour pondre un scénario gothico-dément, en gommant certains détails de l'histoire originale.
D'emblée, Kubrick sait qu'il veut absolument Jack Nicholson – qui vient de remporter l'oscar du meilleur acteur pour One Flew Over the Cuckoo's Nest- , le meilleur acteur hollywoodien de l'époque, dans le rôle de Jack Torrance, un père de famille qui devient psychotique alors qu'il séjourne avec sa femme et son fils dans un hôtel, l'Overlook, qu'ils sont censés garder pour la période hivernale. Une fois son casting bouclé avec Shelley Duvall et Danny Lloyd, Kubrick commence le tournage de son film culte, à divers endroits du globe, et ce, pour un peu moins d'un an.
La réputation de « perfectionniste chaotique emmerdeur » du réalisateur naît au cours de ce tournage éprouvant pour les acteurs qui répètent des dizaines et des dizaines de fois certaines scènes, jusqu'à l'overdose. Mais la cerise du gâteau est pour Shelley Duvall, traumatisée par Kubrick, qui, à chaque scène qu'elle tourne, se fait littéralement harceler. Dans plusieurs interviews, l'actrice ira jusqu'à déclarer que si on lui proposait de refaire Shining avec Kubrick, elle refuserait catégoriquement.
Malgré ces quelques couacs, le film est encore, même aujourd'hui, considéré comme un classique du cinéma horrifique.

Stanley Kubrick était un des meilleurs réalisateurs de tous les temps : il suffit de s'éloigner un peu de son oeuvre, et d'y revenir après moultes compositions modernes pour s'apercevoir de la virtuosité de sa filmographie. Shining, un de ses derniers films (en 1987, Full Metal Jacket, et le dernier en 1999, Eyes Wide Shut) est un des meilleurs du réalisateur, si pas un des meilleurs films de tous les temps (carrément, c'est à se demander si l'auteure de cet article n'est pas une fan de Kubrick), et, ce, voici pourquoi, exposé en trois points.



1) La réalisation

Un film de Stanley Kubrick est, de façon générale, une claque visuelle. Perfectionniste, maniaque, le réalisateur adorait travailler un plan au millimètre près. Le résultat se constate sur la pellicule : les cadrages sont méthodiques, parfaits. Avant d'être scénariste et réalisateur, Kubrick était photographe : sa passion de la photographie se ressent dans ses films, de par l'exploitation fignoleuse des images, des plans. Ceci explique cela. Une chose est certaine : les plans de Stanley Kubrick sont pareils à des photos animées : le réalisateur avait un sens de la composition que peu de réalisateurs aujourd'hui ont encore – à l'exception de Terrence Malick, Martin Scorsese, James Gray et David Lynch sans doute.
En réalisant Shining, Kubrick a donné au monde entier une petite leçon de cinéma en présentant des alternatives de plans classiques (par exemple quand Nicholson est enfermé dans le frigo et qu'il demande à sa femme de le laisser sortir), et a surpris par son habilité à raconter une histoire terrifiante, un genre auquel il ne s'était jamais auparavant essayé puisque son genre de prédilection était plutôt le drame cynique de façon générale° (Clockwork Orange, Lolita, Barry Lyndon) si l'on excepte des ovnis comme 2001: A Space Odyssey et Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb.

Shining fut aussi une démonstration des capacités de la steadicam : la steadicam peut suivre de façon très fluide les comédiens, avec des mouvements harmonieux même si le caméraman marche vite. Les nombreux plans de Danny à toute vitesse dans l'hôtel, du labyrinthe dans la scène finale furent tournés avec la fameuse steadicam qui a permis de faire rentrer (un peu plus) le spectateur dans cette histoire horrifique.

Par conséquent, si encore aujourd'hui on adule Kubrick, c'est pour de bonnes raisons : ses choix – diaboliques – en termes de réalisation ont immiscé des émotions proches de la frayeur, de la panique chez les spectateurs : Shining est une oeuvre d'art, une orchestration admirable de plans qui infèrent un climat de terreur.


2) La direction d'acteurs

Shining, c'est aussi le « Jack Nicholson's show » ; une démonstration de l'étendue dramatique de l'acteur au sourire le plus machiavélique d'Hollywood. Avant Shining, la réputation de Nicholson n'était plus à faire : il était considéré comme le meilleur acteur hollywoodien, le prince des comédiens. Avec Shining, il endosse le rôle d'un père de famille ancien adepte de la bouteille qui perd les pédales après avoir commencé à garder l'hôtel Overlook. Si son interprétation est magistrale, elle est également très théâtrale. Stanley Kubrick voulait s'éloigner de la vision de Stephen King - qui trouvait beaucoup d'excuses et nuançait très fort le rôle du père-, pour faire de Jack Torrance un type fou, irresponsable et déjà psychotique à la base. De quoi donner à Nicholson un terrain de jeu, d'expérimentations. En définitive, Nicholson s'est beaucoup amusé, et a même gardé contact avec Kubrick, avec qui il parlait de projets. Ce qui n'est certes pas le cas de Shelley Duvall.

Dans le documentaire « Stanley Kubrick: A Life in Pictures », Shelley Duvall confiait avoir appris beaucoup de choses en tournant avec Kubrick, n'avoir aucun regret, mais que si on lui donnait l'opportunité de recommencer Shining dans les mêmes conditions, elle ne dirait plus oui. Stanley Kubrick a poussé à bout Shelley Duvall, l'a pressée comme un citron pendant le tournage. Etait-ce une ruse adroite du réalisateur pour faire de son actrice ce qu'il voulait faire de son personnage féminin, et ainsi, la pousser au bout, au maximum de son jeu d'actrice?
Rien n'est sûr. Quoi qu'il en soit, la prestation électrisante de Shelley Duvall en femme épuisée, apeurée, à bout de souffle, ne laisse pas indifférent.
Toujours dans « Stanley Kubrick: A Life in Pictures », elle commentait sa prestation comme difficile parce que lors du tournage, elle devait souvent courir en portant Danny Lloyd dans ses bras.

Si Kubrick a traumatisé Shelley Duvall, il a évité que tout tort soit fait au jeune Danny Lloyd ; l'enfant a passé presque un an à tourner sans savoir qu'il jouait dans un film d'horreur.
Malgré son ignorance du fond de la trame à laquelle il participait, Danny Lloyd a livré une prestation ahurissante, et aujourd'hui encore, culte.



3) L'ambiance : « All work and no play makes Jack a dull boy »

Un très bon aperçu du ton du film a été donné dans l'abominable bande-annonce d'une minute trente qui met en scène la vague de sang qui déferle devant les ascenseurs en rythme avec une musique malsaine et mystérieuse.
Notons également que la scène d'introduction du film transcende parfaitement l'idée générale de Shining : le générique du début fut composé par Wendy Carlos et Rachel Elkind, qui, firent une bonne reprise du cinquième mouvement du Dies Irae de Berlioz. Cette mise en bouche habile promet au spectateur une sacré dose d'adrénaline, et, l'impression que des forces/esprits surveillent avec malveillance le trio de personnages principaux.

Ainsi, l'entrée en la matière fait frémir, alors autant se préparer tout de suite pour un peu moins de deux heures de film pendant lesquelles nous sommes exposés à la folie, au meurtre, à des phénomènes paranormaux. Il n'y a pas un passage qui sente d'une façon ou d'une autre le bonheur, le calme, la sécurité. La situation est éternellement dangereuse, à deux doigts de devenir fatale.
Dès que Jack, le personnage principal, dit : « God, I'd give anything for a drink, I'd give my god-damned soul for just a glass of beer », les forces malfaisantes prennent le dessus sur lui, et l'enfoncent encore plus dans la démence, qui, exponentiellement, ne cesse de le ronger. D'une façon progressive, à cause de l'hôtel et de ses fantômes, Jack Torrance sombre dans la psychose, dans la schizophrénie, dans l'envie, le besoin de tuer. Cette évolution du personnage – toujours en cadence avec une musique de plus en plus lugubre – induit la peur, le malaise chez le spectateur loin d'être rassuré.
Les deux heures de Shining sont deux heures de folie, de peur, de sang, de tripes.

Les plans du film – filmés avec la steadicam et/ou non – suggèrent sans cesse que les trois personnages sont suivis (surtout Danny) et pourchassés par des esprits maléfiques, des esprits supérieurs, qui voient tout, qui peuvent même les posséder. Il n'y a plus de répit, plus d'endroit où se cacher : l'hôtel maléfique voit tout, entend tout, et peut même décider de tout.
Rajoutons à cela le sentiment de claustrophobie croissant chez le spectateur, et l'appréhension de la lumière, de la couleur blanche, car, Kubrick utilise la lumière comme source de peur : c'est celle-ci qui révèle la folie en nous, et qui dévoile les monstruosités qui veulent nous faire du mal. La lumière et les miroirs sont conducteurs de démence, d'hallucinations, de violence. Et la neige si belle, si immaculée, est un facteur d'horreur ; elle isole de tout, frustre, et enveloppe de son linceul blanc les vivants.




Shining est devenu un film culte dès sa sortie en salles : Kubrick a utilisé avec brio les éléments vitaux à l'élaboration d'un film d'horreur, comme la claustrophobie (l'hôtel isolé par la neige et les montagnes), l'utilisation de la lumière (qui montre les choses effrayantes), un endroit marqué par le passé (le passé de l'hôtel maléfique). Une chose est certaine : même si la technologie évolue et permet de tourner avec des effets spéciaux, rien ne surpassera jamais les effets mécaniques, et surtout, une histoire bien ficelée qui joue plus sur la psychologie que sur la démonstration de scènes « gore ».
Merci à Stanley Kubrick de nous avoir offert une pareille leçon de cinéma.



° : Il est un peu trivial de parler de Stanley Kubrick comme d'un réalisateur/scénariste cantonné à un seul genre de film. Pourtant, on décèle souvent les mêmes ingrédients dans ses réalisations : le thème de la violence, de la nature humaine. Tout ceci est toujours distillé avec un ton particulier, un humour cynique/sarcastique. D'où le choix de dire « drame cynique » pour le genre de film de Kubrick.
Notons également que les premiers films réalisés par Kubrick, jusqu'à Lolita en 1962, n'étaient pas entièrement sous son contrôle, puisqu'il faisait ses preuves dans l'espoir d'un jour pouvoir décider de tout et faire ce qu'il voulait.


trailer sanglant