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vendredi 26 juillet 2013

Gattaca d'Andrew Niccol by Jim

We want to give your child the best possible start. Believe me, we have enough imperfection built in already. Your child doesn't need any more additional burdens. Keep in mind, this child is still you. Simply, the best, of you. You could conceive naturally a thousand times and never get such a result

En 1997, un jeune réalisateur alors inconnu – si l’on omet qu’il vient de vendre son scénario « The Truman Show », se fait connaître avec un film de science-fiction déroutant, Gattaca. Si le film ne rapporte aucun bénéfice – au contraire, il constitue un véritable gouffre financier, il reste culte et incontournable dans le monde de la science-fiction – et du cinéma en général, et ce pour plusieurs raisons intéressantes : son univers dystopique obsédé par les manipulations génétiques, son aspect esthétique lisse et onirique de par l’utilisation de certaines couleurs, sa thématique profonde d’opposition entre individus, et enfin son subtexte relatif à la fatalité. A travers ces caractéristiques – non-exhaustives mais particulièrement représentatives, Gattaca d’Andrew Niccol constitue un film de science-fiction définitivement philosophique, soulevant de nombreuses questions fondamentales et inéluctablement d’actualité.



Jérôme/Eugene (Jude Law) et Vincent/Jérôme (Ethan Hawke)

L’univers dystopique rime souvent avec science-fiction : les films du genre sont immanquablement – et surtout depuis les années septante – ancrés dans une perspective d’oppression, de paranoïa, de société humaine aliénée et/ou dirigée par des personnes mal intentionnées qui créent des discriminations et de la répression. Au sein de cette société (chaotique), l’individu est privé de son individualité propre, destiné à être juste une pièce du puzzle parmi les autres, un numéro dans la multitude de chiffres. Dans Gattaca, cet univers dystopique est caractérisé par le triomphe de l’eugénisme : les naissances ne passent plus par les aléas des actes sexuels, mais par une rigoureuse sélection génétique – ce qui rappelle Brave New World de Huxley. Il n’est donc pas étonnant que le principal adjuvant au personnage principal ait comme second prénom Eugene, lui-même produit des nouvelles techniques de procréation et de sélection, au contraire du personnage principal, Vincent – devenu Jérôme, enfant né d’un rapport sexuel sans la moindre intervention visant à sélectionner des gènes. Dans ce monde, les enfants sont « créés » selon les critères de perfection : la sélection génétique a pour but d’enlever tous les travers du génome pour obtenir un individu parfait, un individu « valide » : après la naissance de Vincent – et la découverte de ses nombreuses failles héréditaires, ce dernier étant considéré comme «invalide », ses parents décident de ne plus laisser le hasard décider pour la naissance de leur second enfant, Anton. Anton est dès lors considéré comme « valide » par la société et ses nombreuses bornes de contrôles sanguins et urinaires. Et dans le monde où les protagonistes évoluent, être « valide » donne le droit à tout : les « invalides » sont vus comme des aberrations, des erreurs génétiques, et ne peuvent avoir accès aux facilités qu’on donne allègrement aux « valides ». Vincent est donc un paria de la société, sans cesse comparé – et se comparant- aux « valides » dont son frère est un des meilleurs représentants : les castes ne sont plus déterminées par le statut social, le niveau d’étude, mais par la nature profonde de l’être, d’une certaine façon. Nature contre laquelle on ne peut rien faire.


(Jérôme/Eugene (Jude Law))

Entre le cauchemar et le rêve se situe Gattaca. Cauchemar d’une société où vous aurez beau être intelligent, plein de volonté, votre génome sera un obstacle à votre réussite, comme pour Vincent. Rêve dans des décors épurés, totalement dénués d’artifices excentriques, à l’image de la perfection si pure du monde fait pour et par les gens reconnus comme « valides ». C’est dès lors pour cette raison que tout est si lisse dans cet univers – en termes d’accessoires, d’habillage et de décoration : tout est parfait, sans digressions, comme le génome des humains : aseptisé, purgé de défauts. Gattaca étant elle-même le summum de la perfection, comme les individus qui la peuplent – tous valides, à l’exception de Vincent.
Un certain onirisme se détache de l’usage de la couleur dans Gattaca : des tons sombres sublimés par les lumières artificielles car les sources d’éclairage sont surtout intérieures aux lieux – Gattaca, la maison de Vincent et d’Eugene, mais aussi, dans de nombreuses scènes, une prépondérance de tons jaunes et oranges, eux-mêmes associés dans notre mémoire collective aux films de Jean-Pierre Jeunet de Marc Caro, les bastions des films oniriques. Ce côté onirique du film se retrouve aussi dans des scènes qui nous rappellent ce caractère « construit » du film, cette divagation sur l’avenir de notre société, son rapport au progrès, mais aussi dans les seuls émanations « naturelles » de cet univers comme la lumière naturelle du jour, devenue elle aussi un rêve dans la construction du futur. Les tons les plus sombres – et les plus froids- du film se retrouvent au sein même de Gattaca, dans les bureaux, la salle d’exercice, dans ces lieux dépourvus d’humanité, uniquement basés sur la performance et la perfection à tout prix. Vincent est lui-même tiraillé entre le cauchemar et le rêve : le cauchemar que sa supercherie soit découverte – il use le sang, l’urine et divers traces corporelles de Jérôme, pour qu’on le prenne pour ce « valide », et le rêve, dans le sens où Gattaca permet à Vincent d’obtenir son plus grand rêve : aller dans l’espace. Onirisme – d’un point de vue des couleurs, et réalité abrupte se succèdent dans le film, rendant compte de l’état de Vincent pour qui son rêve a un prix d’or, entre l’ombre et la lumière, le sacrifice et la récompense.


(Vincent/Jérôme (Ethan Hawke) et Irene (Uma Thurman))

Gattaca joue en permanence sur des jeux d’opposition entre Vincent et les valides, d’une façon narrative et visuelle : d’un point de vue narratif, deux personnages en particulier lui sont opposés : d’abord son propre frère, Anton, et puis Jérôme - Eugene, ancien nageur de haut niveau maintenant paralysé qui lui prête son identité afin de lui permettre un accès à son rêve : Gattaca. Avec Jérôme, l’opposition valide-invalide prend encore plus d’importance étant donné le fait qu’en apparence, Jérôme est l’invalide et Vincent le valide : les deux hommes s’échangent leurs vies « prédestinées » : l’un incapable de mener sa vie comme bon lui semble parce qu’il n’est plus valide, et l’autre vivant l’avenir prometteur d’un valide. L’opposition narrative devient également visuelle lorsque les scènes les montrent chacun à leur besogne quotidienne : l’un dans la prétention d’être un autre et ce qu’elle implique (implants sous-cutanés, etc), et l’autre dans la création de son autre, de sa copie presque parfaite lorsqu’il prépare ses échantillons de sang ou d’urine. L’antinomie atteint son paroxysme dans la scène finale où les deux personnages sont présentés parallèlement : leur identité commune aura permis de les rapprocher sans pouvoir les définir véritablement.

La fatalité occupe une grande place dans la vie des personnages de Gattaca : en faisant confiance aux manipulations génétiques, des individus « parfaits » sont créés, ces mêmes individus destinés à un avenir où tout est possible et surtout le grandiose. Mais il y a comme un bémol dans l’histoire : ces individus si « parfaits », peuvent-il être heureux ? Quelle est la place de la perfection dans le bonheur ? Au contraire de Vincent, animé par une volonté farouche – celle d’intégrer Gattaca et de partir dans l’espace, qui, lui, semble heureux d’être là où il est, et ce, malgré les sacrifices. La société élitiste dans laquelle Vincent évolue ne lui a jamais fait aucun cadeau, et c’est avec l’usurpation d’identité de Jérôme qu’il a réussi à rentrer là où personne n’aurait voulu de lui, contre toute attente. Dans Gattaca, le fatalisme n’a absolument aucun sens, il révèle que l’homme fait ce qu’il veut de son existence, qu’il est capable d’aller où il veut, même si ce n’était pas son « destin ».


(Vincent et Anton)

Comme nous l’avons évoqué, Gattaca est peut-être plus une fable philosophique sur la liberté de l’individu quant à sa destinée, liberté à concevoir en termes de choix et de volonté – et cela envers et contre toute attente, qu’un banal film de science-fiction. Tout le film est construit sur le principe d’opposition entre celui qui ne peut pas (Vincent) et ceux qui peuvent (les individus de Gattaca, Jérôme, Anton), et comment tous ces personnages modulent leurs destinées, non pas avec leurs prédispositions génétiques, mais avec leur volonté propre. Une véritable critique de cette tendance – pas si moderne - à toujours voir l’avenir d’une personne en termes de dispositions, de probabilités, d’un point de vue purement théorique et en pratiquant des amalgames. Il s’agit de concevoir que l’individu peut s’affranchir de ces prédestinations pour atteindre un but qu’on pensait hors d’atteinte, comme Vincent.

There's no gene for fate

1 commentaire:

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