Le cinéma français peut se targuer d’avoir dans ses grands classiques un film comme Le Vieux Fusil : une œuvre originale, portée par une interprétation magistrale d’un feu Philippe Noiret au comble de son talent, en 1975.
L’histoire du Vieux Fusil s’inspire d’un fait historique tragique qui a fait plus de six-cent victimes dans le Limousin, en 1944, à Oradour-sur-Glane. Sur base de ce fait, une histoire a été brodée pour permettre au personnage de Noiret de sombrer dans une vengeance aussi glacée que chronométrée : au nom de son amour perdu, Julien, l’homme que Noiret interprète, se prête au même jeu que les nazis : celui de la tuerie cruelle, silencieuse, en apparence arbitraire.
Si cette première approche de l’œuvre cinématographique peut sembler limitée à la modalité du meurtre méthodique, cela ne suffit pas à rendre compte du film, qui, dans son entièreté, respire, pourtant, l’amour, la passion, la tranquillité.
La réalisation mélancolique de Robert Enrico et le montage excellent d’Eva Zora forment un duo formidable qui laisse transparaître cette existence discrète et heureuse d'avant le drame qui renversera tout.
Soulignons aussi le couple touchant formé par Philippe Noiret et Romy Schneider, qui, incarnent à l’écran, avec grâce, et sensibilité les héros tragiques d'une histoire funeste.
Le Vieux Fusil n’est pas qu’une énième histoire sur un drame de la seconde guerre mondiale, et encore moins une représentation de la vengeance chez un homme ordinaire ébranlé par des circonstances extraordinaires : le film est une ode à l’amour, une ode à Clara, la femme que Julien aime de tout son cœur. Attention, le Vieux Fusil n’est nulle tirade niaise sur les pâquerettes : c’est l’histoire d’amour de deux personnes « banales » - dans le sens où il s’agit de deux humains qui aspirent à la paix, le calme, la vie tendre – , malheureusement séparées par des évènements dramatiques et barbares.
Il y a tant d’amour dans le film, que le spectateur se sent lui-même submergé par tant d’émotions, de souvenirs trempés de mélancolie. Il est naturel, sensé, que Julien et Clara seront séparés, leur couple déchiré par un deuil carnassier qui poussera Julien à retrouver le vieux fusil, son vieux fusil, qui lui servira à éliminer chacun des salauds qui l’a privé de sa femme. Dans ces moments de vengeance, de colère, de tristesse infinie, des instants du passé surgissent et rappellent à Julien pourquoi il aimait Clara, pourquoi sa peine est démesurée, et pourquoi il est juste d’annihiler ceux qui – sans s’en rendre compte – ont abattu les murs de son bonheur.
Le film est une succession de dualités : le présent et le passé se mélangent constamment ; on passe de l’un à l’autre, d’une façon logique et structurée qui permet au spectateur de ne pas être perdu dans l’histoire. Le passé se matérialise par l’introspection de Julien, dès le moment où il imagine ce qui a pu arriver à sa bien-aimée. Le massacre qui prend suite dérive donc de l’imagination de Julien : Julien se représente, difficilement, tragiquement, ce qui a pu arriver à Clara.
Et du cadavre de Clara éclot le souhait de retrouver le vieux fusil. Mais à chaque mouvement, à chaque étape franchie, à chaque nazi tué, Clara apparaît. L’observateur externe rencontre, au début du film, en chair et en os, vivante, étincelante, Clara, qui s’anime, et qui se perd sur un arrêt sur image horrifique, avant de se réanimer, sous nos yeux ébahis, en souvenir ensorcelant, rappelant que la vie vaut la peine d’être vécue. Même dans l’absurdité de la situation – le massacre du village, de sa fille, de Clara – les images qui hantent Julien suggère que sa vie valait la peine d’être vécue, d’être consommée, d’être exaltée : à chaque coup de feu, c’est une preuve de plus qu’on a pris à un homme ce qu’il avait de plus cher : l’amour, la tranquillité.
Le tranquillité disparaît le temps d’un instant dans la vie de Julien : le temps de prendre les armes. Et finalement, elle ne se dévoile que dans des séquences souvenirs. La première image et la dernière image du Vieux Fusil sont un clin d'oeil à cette tranquillité, à ce bonheur incommensurable qu'un homme a perdu : sa femme, sa fille, leur vie de douceur, de tendresse, de calme, de bonheur. Adieu le bonheur.
Un mot peut résumer le film : Passion. La passion qui commence le jour de la rencontre entre Clara et Julien, et qui prend toute sa signification quand Julien, après avoir pleuré, et cassé quelques objets se reprend et s'abandonne à la vengeance. Nous ne quittons jamais cette passion, cette flamme éternelle qui anime l'être de Julien. Même si le personnage semble nonchalant, il est véritablement exalté par ce coup de foudre qui l'a transformé en l'époux de Clara.
Le Vieux Fusil est un film qui emporte, qui ne laisse pas de répit, qui se savoure tristement. Certaines images sont très dures, et on ne peut qu'acclamer l'ingéniosité de l'équipe des effets spéciaux, qui, pour un film des années septante, a fait dans le réaliste.
Du point de vue des acteurs, Philippe Noiret fut couronné d'un César pour son interprétation magistrale, détonante de Julien. Romy Schneider est divine, son léger accent allemand lui donnant un petit charme exotique, alors que son visage est d'une beauté resplendissante, naturelle, douce. La voir à l'écran fend le coeur tant le personnage de Clara est une mine d'or, un mystère, une déchirure intérieure qui ne laisse pas indifférent. La cerise sur le gâteau de ce chef d'oeuvre du septième art est la musique inoubliable composée par François de Roubaix, entre mélancolie et bonheur. Une ode à la tranquillité loin de l'horreur de la guerre, à l'amour simple mais passionné, à la vie.
Parce que même si le Vieux Fusil est une histoire de morts, c'est également une ode à la vie, au plaisir que procure l'amour, l'être aimé.
Bande-annonce
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