Melancholia aurait pu être le grand gagnant de Cannes, en 2011. Le film avait tout pour prétendre au grand titre : une réalisation exquise, une photographie trop belle pour être vraie, des acteurs grandioses, et un thème tragiquement passionnant. Malheureusement pour Melancholia, le jury a opté pour Tree of Life de Terrence Malick, et le film de Lars Von Trier n'est reparti qu'avec un prix d'interprétation, amplement mérité par Kirsten Dunst, éblouissante, apocalyptique (les mots s'y prêtent).
Le prologue de Melancholia est à la hauteur de celui d'Antichrist : il glace le sang. Alors que le préambule d'Antichrist présentait une narration – un couple en plein acte sexuel qui laisse son enfant sans surveillance-, l'entrée en matière de Melancholia est non-linéaire : il s'agit plus d'une suite d'images sans véritable logique, puisqu'elles trouveront une certaine cohérence à condition de regarder le film. De cette mise en bouche léchée, qui rappelle esthétiquement la photographie de mode, on retient une Kirsten Dunst mélancolique.
Mélancolie, quand tu nous tiens, tu ne nous lâches plus. Kirsten Dunst est Justine, une jeune femme considérée comme brillante par son employeur, comme ravissante et excitante par son époux, et comme énervante par sa soeur, Claire jouée par Charlotte Gainsbourg. Nous explorons le jour du mariage de Justine et Michael : entre les faux-sourires, les apparences, les scènes qui rappellent Festen de Thomas Vinterberg, nous découvrons cette jeune femme forte et fragile à la fois, cette mélancolique Justine qui noie son soi-disant bonheur sous une moue de tristesse effrénée. Entre deux scènes où Justine s'isole pour mieux souffrir de l'absurdité ambiante, il reste Claire, sa soeur, pour s'indigner de la tournure des choses. Attention, il n'y a pas que de la contemplation : il y a des dialogues, mais surtout, des jeux d'acteurs comme on en voudrait plus souvent, menés jusqu'au bout de ce qu'ils ont à offrir. Si Kirsten Dunst subjugue pendant la première partie du film, Charlotte Gainsbourg prend le relais avec beaucoup de doute dans la deuxième. La seconde partie du film est centrée sur Claire, la soeur de Justine, et sur la fameuse planète Melancholia censée frôler la Terre. Alors que Claire ramasse à la petite cuiller Justine – la plus vulnérable des deux en apparence-, elle s'angoisse à propos de Melancholia, cette planète étrange qui pourrait bien entrer en collision avec la planète Terre et détruire l'humanité.
Lars Von Trier a écrit et réalisé un de ses meilleurs films avec Melancholia. Alors que les thèmes de prédilection de ses films sont l'auto-destruction, la malveillance d'autrui et la cruauté des êtres humains (pour résumer d'une façon certes triviale), le réalisateur danois parle dans ce nouveau film d'une maladie qui tue à feux doux et empoisonne l'existence de millions de personnes : la dépression. Le vague à l'âme et la mélancolie sont des « synonymes poétiques » de cette dépression, qui agissent sur le personnage de Justine tout au long du film, de façon exponentielle, pour aller au plus loin de ce qui est permis. Ainsi, dans la seconde partie du film, Von Trier expose le spectateur à la forme la plus dure de la dépression : celle qui laisse apparaître ses malades comme des objets ; des personnes désarticulées incapables de penser, de vivre. Il n'y a plus qu'une enveloppe, l'âme, l'étincelle est partie. La dépression est une forme de mort : c'est sans doute pourquoi Justine semble la plus sereine à l'idée d'une probable collision entre la Terre et Melancholia.
Melancholia est donc le titre idéal pour le film : l'appellation fait référence à la mélancolie qui ronge Justine, et également à la planète qui menace la Terre.
On pourrait même dire que dès que la mélancolie entre en collision avec votre monde, il y a peu de chances que vous en réchappiez : le spleen est une addiction, une drogue dans laquelle on sombre sans chances de trouver un échappatoire. En même temps qu'elle afflige, la mélancolie attire : elle est la beauté. Toutes les oeuvres mélancoliques sont empreintes de quelque chose de si beau qu'elles plaisent. C'est pourquoi Kirsten Dunst étincelle dans l'ombre, incarne une beauté d'une pureté éternelle et séduisante.
Lars Von Trier innove dans le sens où il filme un mariage comme on en avait jamais vu : au lieu de passer le plus beau jour de sa vie, la mariée semble loin, malheureuse, entrain de jouer à un jeu dangereux avec la folie. Comme il s'agit d'un film réaliste d'un point de vue des sentiments et de la psychologie des personnages, le marié n'est pas un crétin fou amoureux de son épouse qui ne se rend pas compte de ce qui se passe. Le jeune marié, Michael, est interprété par l'acteur suédois Alexander Skarsgård, qui oscille entre empathie et lassitude contrôlée. La peine de ce jeune homme face au problème de la femme qu'il aime bouleverse sérieusement. Tout le monde ne peut pas supporter la dépression. Il est difficile de satisfaire quelqu'un qui sombre et se rendre compte qu'on ne suffit pas au bonheur de la personne qu'on désire est une douleur atroce.
Le cynisme de Von Trier s'illustre au travers de certains personnages, comme celui de la mère de Justine et Claire (jouée par Charlotte Rampling), une femme qui ne croit pas au mariage, et qui, ouvertement, critique le choix de vie de sa fille. Stellan Skarsgård (oui, le père d'Alexander dans la vie de tous les jours), lui, se contente d'apparaître dans un rôle de patron aux mauvaises intentions.
Melancholia ressemble aux autres films de Von Trier parce que le film donne une grande importance aux apparences : tout ce qui se passe n'est que façade, voile. Il y a une marge entre ce qu'on voit et ce qui est réellement. Ainsi, Justine paraît la plus sensible des deux soeurs, mais en réalité, les choses sont différentes dès que Melancholia fait son apparition. C'est sans doute cette dualité entre ce qu'on observe et ce qu'on ne voit pas qui rend si passionnant le cinéma de Lars Von Trier : il y a toujours plus en profondeur, il faut gratter pour faire apparaître la réalité.
Melancholia est un grand film, un millésime, certainement un des films à retenir de 2011. Déjà, les performances des acteurs valent le détour ; Kirsten Dunst épouse le meilleur rôle de sa vie, sans doute le plus complexe, et Charlotte Gainsbourg passe de la certitude au questionnement en deux heures riches en émotions. Les seconds rôles sont tous aussi brillants, bien dosés, convaincants : Kiefer Sutherland joue le beau-frère qui ne va jamais craquer, Charlotte Rampling la mère cynique, John Hurt le père fantasque, Alexander Skarsgård l'amoureux éconduit, Stellan Skarsgård le patron pervers. Manuel Alberto Claro est la révélation du film : son travail de directeur de la photographie est tout juste majestueux : entre la couleur chaude de la première partie du film (toujours pour les apparences), et les couleurs presque saturées de la deuxième partie, les images apparaissent avec grâce et splendeur.
Et Lars Von Trier dans tout ça? Il n'a pas menti lorsqu'il a déclaré s'être inspiré du romantisme allemand, puisqu'il utilise la musique de Wagner et offre des scènes de toute finesse et de toute délicatesse du point de vue visuel, rappellant les toiles de Caspar David Friedrich. Son travail de réalisateur est également empli d'harmonie : il filme avec toute la sensibilité dont il peut faire preuve, communique une oeuvre pleine d'émotions, de sensations, d'idées. Chaque plan est là pour une raison et trouve son utilité dans l'impression de vertige qu'il communique.
Melancholia aurait vraiment pu remporter la fameuse Palme à Cannes : sur un décor de fin du monde imminente, la mélancolie blesse une jeune femme, transforme sa vie, sa conception des choses et son appréhension du monde. Une histoire universelle, car, sans mentir, elle pose la question de "qu'est-ce qui en vaut vraiment la peine?".
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