David Fincher, un des réalisateurs le plus rock'n'roll qu'Hollywood compte actuellement, va bientôt nous scotcher à notre siège avec sa version cinématographique du premier tome de Millénium, la trilogie de livres de Stieg Larsson, qui avait déjà bénéficié d'une adaptation sur grand écran réalisée par le danois Niels Arden Oplev en 2009. Depuis que Fincher a cassé la baraque avec The Social Network, le monde l'attend de pied ferme, et encore plus depuis qu'on sait que le prochain film sera sur le premier tome de la série Millénium, où le malsain flirte en permanence avec le sexe, la mort. Sauf exceptions de The Social Network, et de Seven, le film de Fincher qui a laissé une trace indélébile dans la mémoire collective est un film subversif, à l'ouest des bonnes moeurs, anarchique, culte : Fight Club. De quoi se réjouir de voir Fincher dans un style tellement familier : son prochain film pourrait s'avérer jouissif de par son aspect indécent, furieux, sinistre, explosif (pour ceux qui ne sont pas convaincus, lisez Millénium, et on en reparle).
Et cette sortie (presque) imminente de The Girl With the Dragon Tattoo vaut bien une petite présentation non-exhaustive (ou en tout cas pas toujours en profondeur) de ce que David Fincher nous a présenté depuis ses débuts dans le monde du cinéma, en 1992*, pour nous rappeler que cela fait presque vingt ans que le réalisateur nous gratifie de films excessivement exquis, et toujours imprévisibles d'une certaine façon.
Alien 3 est souvent considéré comme un des moins bons films de la saga (avec le quatrième, qui, même s'il est signé Jean-Pierre Jeunet, n'as pas le panache des autres), et à tort. Au moment de la sortie du film, Fincher a fait savoir que les conditions du tournage n'ont pas été optimales ; le studio, les scénaristes, ont changé de nombreuses fois d'avis sur le script, le scénario, rendant inévitablement la tâche du réalisateur ardue. Bien évidemment, les critiques se sont déchaînés à la sortie du film, parce que le film était moins « travaillé » que les deux autres. Si bien que Fincher a souvent renié Alien 3, ne voulant pas qu'on associe son nom au film. Et pourtant, Alien 3 n'a certes pas le cadre des deux premiers opus (qui n'ont pas connu les mêmes soucis), mais le film est dans l'ensemble très réussi, et joue parfaitement sur cette ambiance si typique des films de la saga Alien : entre claustrophobie, folie et désespoir (tout ceci entrecoupé d'éclats de sang). De plus, le film est d'autant plus intéressant qu'il rompt avec l'image d'Ellen Ripley : le personnage se rase le crâne pour passer « inaperçue » dans la prison où elle a échoué, et se doit d'avoir une attitude asexuée afin de ne pas provoquer les détenus misogynes ex-tueurs de femmes. Ripley devient ainsi indéterminée du point de vue du genre, androgyne, au-delà de tout idéal féminin ou masculin. On pourrait la voir comme un surhomme, une surfemme, un personnage sans identité presque, sans genre, sans attache, libéré du monde et de ses besoins primaires. Elle est une héroïne, comme d'habitude, mais une héroïne sans sexe, universelle, puisqu'elle veut sauver tout le monde avant de se sauver elle.
Alien 3, d'un point de vue symbolique, est le plus riche des films, le plus profond. C'est dans ce film-ci qu'on donne toute son importance à Ripley, toute sa singularité. Fincher, en sublimant Sigourney Weaver, en concrétisant un univers sombre et dangereux, s'est montré à la hauteur de ses prédécesseurs, Ridley Scott et James Cameron, et cela malgré les conditions dramatiques de production, de tournage.
L'expérience horrifique d'Alien 3 aura découragé un moment Fincher, mais, trois ans après Alien, Seven sort sur les écrans, et c'est le succès total. Seven est le premier grand succès de Fincher au box-office, succès qu'il ne dépassera qu'en 2009 avec Benjamin Button. Quand Seven sort, on crie au génie, tout le monde est sous le charme de Brad Pitt qui vient d'atteindre les sommets avec Interview with the Vampire, Morgan Freeman est encore une fois admirable, et on découvre Kevin Spacey (juste avant The Usual Suspects). Après Seven, le monde est rempli de possibilités pour David Fincher ; il vient de faire ses preuves, à lui le monde. On note déjà son style particulier, sa façon de filmer des situations inquiétantes, affreuses, son voyeurisme retenu.
Fincher enchaîne avec The Game, mais le film passe presque inaperçu, comparé à Seven. Le succès arrive après la sortie de Fight Club, lors de la sortie DVD du film. Encore une fois, Fincher a eu des ennuis avec le studio, qui ne croyait pas du tout à son film, jugé trop subversif. La sortie dans les salles a donc été très peu préparée, et le film s'est cassé la gueule comme le studio le pensait – ou du moins, n'a pas fait assez d'entrées, ce qui, en langage financier, veut dire « s'est cassé la gueule ». Les critiques ont vu un film trop controversé derrière Fight Club, trop inattendu, ce qui n'a pas non plus joué en sa faveur.
Néanmoins, le bouche à oreille a marché, et le film a conquis le monde quand il a été commercialisé ; Fight Club a accédé au club très privé des films « cultes », comme Scarface, qui, aussi, avait été boudé pendant sa sortie en salles (et citons aussi l'excellentissime Donnie Darko qui a connu le même sort) et adulé lors de sa sortie commerciale.
Fight Club était une claque adressée à la société de consommation, aux moeurs et à tout ce qui partait en couille dans le corps social par l'auteur déjanté Chuck Palahniuk. Fincher, en adaptant Fight Club, a transposé ce style, ce rythme, cette ambiance très Palahniukienne. Ce sens du rythme (et de l'esthétique également), Fincher le remontrera dans The Social Network. De Fight Club, on retient principalement Edward Norton en narrateur impossible à cerner, Brad Pitt en punk moderne sans bracelets à piques, et Helena Bonham Carter en nymphomane dépressive. Un trio inoubliable dans une ambiance confuse teintée de rock'n'roll, après tout, Fight Club c'est surtout un trip sous acide, sous crack, une hallucination dangereusement corrosive.
La période des vaches maigres continue pour Fincher, avec Panic Room en 2002, et se termine avec un de ses films les plus aboutis, Zodiac, en 2007.
Zodiac est le film le plus risqué, le plus personnel de Fincher, et celui qui a le moins bien marché au box-office (ce qui prouve encore une fois que le nombre de dollars engrangé par un film ne corrèle pas positivement avec sa qualité). Personnel, parce que Fincher a déménagé en Californie très jeune, et qu'enfant, il a grandi dans le climat de peur lié au tueur du Zodiac. Fincher s'est donné au maximum pour traduire parfaitement l'ambiance (noire) de cette histoire, l'atmosphère des décennies concernées, et le suspens lié à la recherche du célèbre tueur. Le seul problème de ce film très complet, presque documentaire, est sa longueur ; le film comporte une transition un peu trop longue entre la première partie du film très prenante et la seconde partie tout aussi palpitante.
Et comme d'habitude dans un Fincher, les acteurs principaux sont impeccables, dirigés d'une main de maître: Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo et Robert Downey Jr. sont grandioses, chacun à leur manière, dans leur rôle.
Malgré son excellence, Zodiac n'a pas été apprécié à sa juste valeur. Pourtant, le climat obscur, stressant du film avait tout pour séduire, et cette fois-ci, en plus, les critiques avaient acclamé le film, mais cela n'a pas suffit à convaincre le public.
Jusqu'ici, David Fincher avait surtout réalisé des thriller, des films avec une part de suspens, de cynisme, c'est pourquoi The Curious Case of Benjamin Button en a dérouté plus d'un.
A l'époque de sa sortie, en 2008 aux States, et en 2009 dans le reste du monde, tout le monde ne parle que du film pour sa photographie tellement parfaite qu'elle semble irréelle, et ses effets spéciaux qui font vieillir et rajeunir Brad Pitt en deux heures trente de film. La vraie surprise du film est en réalité dans son histoire même, signée F. Scott Fitzgerald : un homme naît vieux, et tout au long de sa vie, ne cesse de rajeunir. Nous suivons la vie de Benjamin Button du berceau au tombeau : si les uns déplorent (encore une fois) la longueur du film – qui d'après eux est trop long pour faire long, à l'ancienne sauce hollywoodienne presque- , les autres l'ovationnent: cette longueur ne cesse d'approfondir les situations, les rencontres, et rappelle que la vie est faite de patience, de relations qu'on crée au fur et à mesure, en prenant son temps. Le monde actuel dénigre la temporalité : il faut tout, tout de suite, sans attendre, que ce soit pour tout et n'importe quoi. Le film ne moralise pas cette attitude contemporaine, mais souligne à quel point le temps est une abstraction, certes, mais un concept qui nous guide, nous berce ; nous ne pouvons nous détacher du temps. Nous dépendons de lui, mais lui est tout à fait autonome. L'histoire de Benjamin Button, profondément triste et mélancolique, est unique, et même romantique : au-delà de l'impossibilité de Benjamin de faire partie du monde puisqu'il vit à l'envers, il y a une histoire d'amour entre lui et Daisy, une danseuse, qui, elle, ne peut se "jouer" du temps, et bien sûr, leur histoire prend son temps, passe par des drames, des évènements. David Fincher se distingue de ses autres films en prouvant qu'il peut filmer comme personne les êtres en train de se fâner, mais aussi, une histoire d'amour naissante, et le temps physique qui imprègne de sa musique mélancolique le monde, les rencontres. Avec Benjamin Button, Fincher renoue avec le succès, et se voit même obtenir une nomination aux Oscars, dans la catégorie du meilleur réalisateur.
C'est en 2010 que les choses sérieuses se précisent, avec The animSocial Network, qui est l'apothéose de la carrière de Fincher ; succès commercial (moins grand que celui de Seven et Benjamin Button, mais quand même, il n'avait plus cartonné comme ça depuis longtemps), et reconnaissance par les pairs, par le monde entier. Dans The Social Network, le réalisateur a condensé ses atouts pour nous foutre cette claque qu'on attendait depuis un moment ; esthétique léchée, musique jouissive (merci Trent Reznor et Atticus Ross), direction d'acteurs presque divine (Jesse Einsenberg, Andrew Garfield), rythme incroyable, plans savoureux. On ne peut sortir de sa tête les scènes du film où la musique et la réalisation sont dans une telle symbiose que le tournis est inévitable : entre la séquence d'ouverture, le passage avec le piratage, la scène d'aviron, le corps frémit, cela devient viscéral. Fincher a habitué son public à ressentir des émotions proches de la peur, de l'angoisse, de l'incompréhension, et, avec The Social Network, il nous confronte à de l'extraordinaire, du délirant, nous force à être bouche bée, charmés par un tel sens de la réalisation.
Le film de 2010, était bien sûr The Social Network.
La dernière question qui subsiste à la suite de cette piqûre de rappel de la carrière de David Fincher est la suivante : est-ce que The Girl with the Dragon Tattoo sera le film de 2011 sachant que la bande-annonce nous promet encore une claque ?
the girl with the dragon tattoo
* Attention, David Fincher réalise des longs-métrages depuis 1992 mais sa carrière de réalisateur est bien plus ancienne : depuis la moitié des eighties, il réalise des vidéo-clips.
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