« Television is reality, and reality is less than television »
En novembre 2011, tout le monde parlera du nouveau film de David Cronenberg, A Dangerous Method, basé sur le livre éponyme de John Kerr qui raconte les débuts houleux de la psychanalyse sous l’égide de Sigmund Freud et de Carl Jung.
Si Cronenberg a laissé tomber – partiellement dirons nous - dans cette dernière décennie son amour du gore, de l’horreur, c’est au profit de son affection pour les côtés psychologiques des histoires qu’il raconte : depuis les années nonante, et depuis plus particulièrement Crash en 1996, la dimension psychique est omniprésente dans l’œuvre de Cronenberg. A Dangerous Method consisterait donc, d’après les premières images et les premiers commentaires des acteurs, en un film psychanalytique sur la psychanalyse, un programme tout en noirceur et en névrose, puisque les thèmes fétiches de Cronenberg s’articulent parfaitement dans le film : le sexe, la mort et les pathologies psychologiques composent le propos général de ce long-métrage.
Et pourtant, si certains s’époumonent à déclarer que ce film sera le millésime de Cronenberg, il est de la responsabilité des autres de mettre en lumière les dix-huit films précédents du cinéaste canadien, et de souligner l’importance, encore aujourd’hui, de Videodrome, un des films les plus engagés sociologiquement, psychologiquement, politiquement, de David Cronenberg.
A l’époque de Videodrome, en 1983, David Cronenberg n’est pas encore très connu : il faudra attendre 1986 avec The Fly pour que le metteur en scène soit une référence dans son registre : celui qui mêle le sexe, la mort, la violence, la métamorphose, la psycho(patho)logie, l’horreur et la société.
Videodrome orchestre parfaitement ces différents thèmes pour proposer une vision unique de l’homme, de sa place dans la société moderne, et le film est d’autant plus important qu’il contient un message prophétique sur notre utilisation des technologies, et plus particulièrement de la télévision (qu’on peut étendre aujourd’hui à internet), qui, pour résumer, nous transforme plus que nous la transformons en retour. De plus, du début à la fin du film, on peut voir se dessiner une intention : celle de déconstruire nos idées sur ce médium. At last but not least, le personnage principal, interprété avec brio par James Woods, est une sorte d’anti-héros cynique, drogué aux images violentes et sexuelles, qui se joue des mœurs de la société. Videodrome ne présente que des aspects pervers de la télévision, de la conception des programmes à l’internalisation chez le sujet de ce qu’il regarde. Un prétexte de Cronenberg pour nous amener vers la métamorphose : physique, mais aussi philosophique puisqu’on nous pose cette simple question : est-ce que le virtuel est plus réel que le réel lui-même ?
Décrire par un vulgaire synopsis Videodrome ne servirait à rien : ça casserait même la « magie » de ce film controversé, osé, sévèrement burné, à l’image de son personnage principal, Max Renn, le propriétaire d’une chaîne de télévision qui ne diffuse que des vidéos, des séquences, des émissions, ayant trait à une sexualité brutale, à des scènes de violence. Max Renn, à l’aube des années quatre-vingt est le symbole de cette génération qui recherche un sens au-delà du marasme ambiant : Dieu, la patrie, la nation, les bonnes intentions ont été remplacées par l’Absurde (qui s’exprime de sa meilleure façon au travers de cette société de consommation dont le simple but est de se gaver de matérialisme pour palier au manque de valeur de l’existence). Et cette absurdité régnante se traduit par le non-sens dans lequel nous vivons : la télévision est envisagée comme un sens, un symbole réconfortant bourré d’images agréables, d’avis, de connaissances. Cette place est aujourd’hui occupée par internet : un rêve imaginé dans un but des plus philanthropiques, didactiques, mais qui connaît des effets pervers. Dans les années quatre-vingt, la télévision fait office de sens de secours pour l’humanité : une multitude d’émissions croissent et pullulent, dans le simple but de rassasier les hommes.
Et comme tout a perdu son sens en soi, la télévision peut faire ce qu’elle veut, peut tout montrer, tout oser : ainsi, la chaîne de Max Renn offre une catharsis, un déchargement immédiat de pulsions de mort, de destruction, grâce à ses programmes ultra-violents.
Mais l’inattendu doit toujours surgir dans une histoire pour épicer les affaires, et c’est là qu’intervient Videodrome, un programme étrange où la torture est la seule monnaie courante. Et si le marquis de Sade n’aurait sans doute pour rien au monde manqué Videodrome, Max Renn, l’obsédé, le sadique, le pervers, en est lui-même effrayé dès que l’idée que le programme serait un snuff movie lui vient à l’esprit.
De son début à sa fin, Videodrome est une hallucination collective, comme la télévision finalement: une aliénation qui fait perdre pied, qui entrave la réalité, ou, qui, justement rétablit l’exactitude. Et pour aller même encore plus loin, Videodrome se moque de nous, petits spectateurs, pour nous glisser d’une voix frigorifiée à l’oreille une question primordiale, à savoir celle-ci : « est-ce que le réel est une illusion ou est-ce le leurre qui fait office de vérité ? ». Aujourd’hui, c’est l’ordinateur le personnage principal de notre vie : nous l’allumons chaque jour, nous avons besoin de lui pour savoir ce qui se passe dans le monde, nous transitons par son écran pour avoir accès à nos propres petites obsessions : pornographie et violence sont plébiscitées et exaucent les prières virtuelles que nous faisons. Internet contient une multitude de données, auxquelles nous avons facilement accès, et grâce à elles, nous pouvons par exemple mener une vie virtuelle, vivre, participer à une hallucination collective en définitive. Et si Internet était, comme la télévision autrefois, une gigantesque illusion à laquelle nous participons tous gentiment sans nous rendre compte de quoi que ce soit ?
Faire Videodrome était un risque, un pari. Il fallait oser le sadomasochisme de Deborah Harry (Blondie), les scènes gores de métamorphose, le message politique, et bien sûr, l’inévitable James Woods sur qui on pourrait écrire des thèses à cause de son charisme, de sa façon d’être, d’évoluer dans des rôles malsains. Parce que même si Max Renn est l’anti-héros, on ne peut s’empêcher de se prendre d’affection de lui, de le trouver brillant, empreint d’un magnétisme puissant et de souhaiter qu’il ne sombre pas complètement dans la folie, ou pire, la mort. Videodrome n’était pas le premier film de David Cronenberg, et pourtant, avec ce film, Cronenberg s’inscrit dans une perspective kafkaïenne (le thème de la métamorphose, exploité par exemple d’une façon plus importante dans The Fly), psychologique (ses films oscillent entre des personnages qui présentent des altérations d’un mode psychique sain), et sociologique (ses films comportent un message sur la société dans laquelle nous évoluons).
Videodrome est une référence et un film qui mérite d’être vu et apprécié, pour lui-même. Et aux vilaines langues qui répliqueront que les effets spéciaux ont mal vieilli, on peut rétorquer que premièrement, le film date de 1983, et deuxièmement, les grands films qui contiennent une transcendance certaine n’ont pas besoin d’effets spéciaux parfaits pour délivrer leur message.
« After all, there is nothing real outside our perception of reality, is there? »
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