Etablir ou non que le dernier film de Tim Burton soit un blockbuster ne va pas m’empêcher pour autant de vous parler de sa dernière mouture, adaptation d’une série TV kitsch des années 60-70. Ca parle de vampire, ça parle de famille, et comme c’est un Tim Burton réalisé après La planète des singes et qui n’est pas Big Fish, c’est avec Johnny Depp et Helena Bonham-Carter. « Mais pas que ! » (Dieu que cette expression est laide, swite djizeuçe). Bon allez, on cesse de tourner autour du pot, on s’assoit au coin du feu et on parle de Dark Shadows.
(La tagline Américaine « Strange is Relative » est énormissime. Fin du commentaire furtif !)
Bon, je vais pas y aller par quatre chemins, d’une part parce que je n’ai pas quatre chemins derrière l’oreille et aussi parce que ce serait d’une futilité affligeante et un grande manque de respect envers ceux qui me lisent que de digresser sur des sujets dont la pertinence est presque plus douteuse que mes goûts cinématographiques. Donc. Dark Shadows, ça parle de Barnabas Collins (Johnny Depp), un homme qui a été maudit par une sorcière, Angélique Bouchard (Eva Green), et changé en vampire avant d’être enterré vivant pendant 200 ans. A son réveil dans les années 70, Barnabas va devoir redécouvrir le monde et sa nouvelle famille de dégénérés du slip pour les aider à rebâtir l’empire familial en déclin. Au premier abord, la perspective d’un film de Tim Burton qui parle de vampires et de sorcières parait plaisante, un terrain dans lequel le cinéaste que l’on ne cessera d’étiqueter « morbide » ou « déjanté » ne s’était pas encore vraiment aventuré. Sur le papier, c’est une réussite annoncée.
Sur la pellicule, c’est autre chose. Ce qui frappe positivement d’abord dans Dark Shadows, c’est la très bonne photographie de Bruno Delbonnel, qui œuvre tout en nuances désaturées ou flashy pour créer une ambiance seventies en restant dans le fantomatique. On retient d’ailleurs les très beaux plans qu’il embellit avec grande puissance Burtonienne, comme l’une des premières apparitions de la magnifique Bella Heathcote, qui incarne la fragile Victoria Winter, en auto-stoppeuse en détresse. Contrastes surréalistes, éclairages brumeux ou lumière éclatantes, Delbonnel seconde Tim Burton avec brio en donnant au film une teneur graphique exemplaire. C’est d’ailleurs le grand aspect séduisant de Dark Shadows : ambiance et graphisme. Dark Shadows est l’un des films du cinéaste qui joue le plus sur la texture : poussière, cendres, bois écorché ou porcelaine brisée pour le solide. Sang, pluie, océan pour le liquide. Brume abondante et fantômes du passé pour les vapeurs mystérieuses qui embaument le fantastique que le film aborde. Le tout est accentué par des costumes, coiffures et décors très bien travaillés et cohérents entre eux.
Mais ce qui pèche (jeu de mot d’ailleurs parce que les Collins ont une entreprise de produits de la mer. C’est drôle, nan ? Je sens que je vous titille les zigomatiques, allez, dites-le !), dans Dark Shadows, est malheureusement beaucoup plus effarant que ce qui donne au film son cachet visuel Burtonien que l’on aurait pu croire mort à mesure que Lewis Caroll se retournait dans sa tombe pour Alice au pays des Merveilles (et dans sa globalité, Dark Shadows ne rassure pas).
C’est d’abord d’énormes lacunes scénaristiques qui foudroient littéralement tout ce qui est cher au réalisateur de… L’ETRANGE NOËL DE MONSIEUR JACK ?! NAN J’DECONNE… d’Ed Wood. A l’imminente sortie de Dark Shadows, il se murmurait un retour aux sources pour Burton, et aux thèmes qui lui sont chers. Mais quels thèmes ? Le morbide, l’humour macabre, le délirant ? Il faut être à mon sens bien aveugle pour penser qu’il s’agit là des véritables problématiques du cinéaste. Si bien sûr son travail est empreint des multiples significations de la mort et des facettes de nos peurs ou dégoûts avec un humour non déguisé, Burton s’attache davantage à soulever des questionnements tels que l’acceptation de soi et des autres (Edward aux Mains d’Argent), les relations à la famille et à ses mythologies ancestrales (Big Fish) ou à ré-écrire l’Enfance dans toutes ses imperfections (Charlie et la Chocolaterie) qu’à s’esclaffer sur des macchabés. Seul Beetlejuice était assez unidimensionnel (tout en restant parodique !) pour donner raison à nos journalistes qui se plaisent à dépeindre un Burton dont les obsessions premières voire uniques sont la Mort et le glauque (mais avec des blagounettes). Le coup de gueule contre les médias passés, revenons à Dark Shadows, qui semble vouloir leur dire « Oui, tout à fait, regardez-moi, je suis un dingue dans les thèmes que vous m’avez dit que je savais bien développer ! ». En effet Burton se plait à installer des ambiances glauques ou macabres gratuitement sans en être convaincu, comme s’il s’essayait à une parodie de lui-même. Si l’ouverture du film rappelle Sleepy Hollow dans le côté légende ancienne et fonctionne en harmonie avec le fantastique et le funeste, ce n’est plus si évident pour plusieurs scènes suivantes. Par exemple, Burton fait intervenir le sang comme fil rouge de son récit du début à la fin, mais ne s’en sert véritablement que comme d’un breuvage pour Depp sans consistance, en n’explicitant pas réellement quelles propriétés il lui prête. Il en va de même pour la sorcellerie. Un gag rigolo sur Méphistophélès, et voilà tout ce qu’il reste des obscures rites dont Eva Green n’a finalement que faire, et tout ce qu’il reste de la profondeur du Vampire, de la Sorcière, des Revenants ou autres créatures imaginaires ne sont que des courts passages tendant davantage vers le X-Men en plein délire que dans la réelle exploration de leur nature et de leur complexité. Décevant pour un Burton qui se plaisait à inventer une profondeur narrative à son cavalier sans-tête où à établir des bestiaires surprenants pour ses Noces Funèbres sans qu’ils ne laissent un arrière-goût très désagréable d’inachevé.
Inachevé, c’est exactement le mot qui vient après avoir vu Dark Shadows. Preuve en est : la fin du film, que je ne prendrai pas soin de vous spoiler. Quand les secrets sont révélés, c’est dans l’absurde et le débilisant que l’on nage (coule ?), particulièrement pour le moment de non-gloire de Chloë Grace-Moretz, pourtant en meilleure forme que dans Hugo Cabret. Et une fois le final passé, tout est laissé en plan, rien n’est un dénouement résolu, excepté pour Barnabas. Une déception qui se prolonge par les choix étranges de plusieurs protagonistes ; meurtres, trahisons, mensonges ou fuites. Mais à quoi bon ? Rien n’est justifié ou apparemment justifiable, et on arrive à penser que Burton s’est moins soucié de faire vivre sa famille fictionnelle que de la faire s’entrechoquer au cours de joutes verbales pas toujours inspirées. En effet, le casting est bien troussé, Depp et Bonham Carter rejoignent Michelle Pfeiffer (étonnamment parfaite), Jackie Earle Haley (clin d’œil à Rorschach dans une de ses scènes ?), Eva Green (pâle), Chloe Grace-Moretz ou encore Alice Cooper et Christopher Lee (pour le caméo). Mais l’amère absence d’alchimie entre les acteurs suggère les frictions froides d’une famille inavouable que l’on devine involontaires, même si cette distance entre les acteurs sert au final le propos… du moins pendant les premières minutes du film. Parce qu’à cela s’ajoute un cruel manque de rythme, les passages musicaux étant les plus enthousiasmants, autant qu’ils sont rares. Même l’humour, que l’on croyait en bonne place, est finalement grinçant dans le mauvais sens du terme ; les redites du poisson hors de l’eau (entendez vampire hors de son époque) qui rappelleront à nous les Français de France nos Visiteurs, sont frileuses et éclipsées pour la grande majorité par de brèves répliques qu’on ne retient pas.
J’ajoute en définitive un petit quelque chose sur les thèmes de Burton. Comme je l’ai dit, Burton parait s’auto-caricaturer jusqu’à ne plus faire ressembler le film à quoi que ce soit d’intéressant, survolant les laissés pour compte (mention au gamin dont j’ai oublié le nom) et oubliant de donner un vrai sens familial à son film. Mais surtout, abordant des images qu’on n’aurait su présager dans un de ses films. Alors honnêtement, je vous spoile gratuitement mais HELENA BONHAM CARTER TAILLE UNE PIPE A JOHNNY DEPP. Au risque de paraître trivial, qu’est-ce que ça vient foutre dans un film de Tim Burton ? Fantasme profitable à l’alter-ego du cinéaste ? Je vous laisse répondre, mais cela me méduse encore que Burton ait apporté au film des images dont on aurait pu se passer tant elles relèvent de la facilité déconcertante, loin de l’artiste que l’on apprécie pour son talent graphique. La scène du vomi, même exemple. La séquence de sexe entre Barnabas et Angélique parait même parachutée alors que le personnage de Depp nous est dépeint comme noble et élégant. Brutal, étrange. Gratuit.
Je peux aussi commenter sur la musique du film. Je croyais qu’Alan Silvestri avait fait fort en offrant à Avengers un score à peine audible et hyper-illustratif, c’est finalement Danny Elfman qui se vautre de toute sa masse en ratant une soundtrack comme rarement. Rien ne se retient, aucune émotion. Elfman est éclipsé par un Alice Cooper en camisole de force, et une jolie scène (ma préférée) sur fond de Top of the World des Carpenters.
Vous l’aurez compris, je pense, Dark Shadows est une déception de fan de Burton, lui qui s’était laissé empêtrer dans le Disneyien de son Alice, parait ici faire péter l’auto-caricature jusqu’à n’être plus que l’ombre de ce que l’on veut bien croire qu’il est. Cruel manque de rythme et d’une écriture cohérente qui tiennent la route, s’il n’est pas en reste d’acteurs talentueux et d’un graphisme soigné, Dark Shadows est assurément l’un des films les plus mineurs de la carrière de Burton, que l’on espèrera de nouveau en forme pour Frankenweenie. Personnellement, je prie pour un retour à l’expérimental de Sweeney Todd, à l’éclatante sincérité de Big Fish, à la naïveté génialissime d’un Etrange Noël de Monsieur Jack. Son prochain film sera en stop-motion. Et il a intérêt à faire péter le feu de Dieu nom d’un chien (zombie) !
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