Les années 80 n’ont pas été tendres avec Clint Eastwood, ou plutôt elles ont menées l’emblématique cowboy de Sergio Leone dans une routine de bon aloi, avec deux suites à son Dirty Harry dont aucune ne connaîtra le succès des précédents volets, et quelques comédies très vite oubliables dont le très fameux Pink Cadillac.
L’acteur se dirige lentement vers une retraire dorée à l’orée des
projets de studio qui ont fait sa gloire durant les deux décennies
précédentes. Il s’essaye (un peu) à la politique en devenant le maire
républicain de sa ville de Camel et cachetonne donc dans des films pour
s’amuser de son image macho à la gâchette facile que la jeune génération
des action heroes des 80s, à l’instar de Arnold Schwarzenegger,
vénère. Il s’agit là, accessoirement, d’une manière de financer des
projets beaucoup plus personnels qu’il veut réaliser lui-même.
Clint Eastwood passe de plus en plus de temps derrière la caméra avec notamment le très remarqué maître de guerre une sorte de "comédie" sur la formation des marines avec un Clint Eastwood
très en forme en sergent instructeur. Mais c’est sur cette décennie où
pour la première fois il réalise un film où il ne joue pas, un film en
hommage à sa passion du jazz Bird, qui va marquer les
esprits lors de sa présentation à Cannes. Pour la première fois, le
réalisateur va être récompensé pour un de ses films avec un prix
d’interprétation pour Forest Whitaker. Ce tournant
respectable le pousse à vouloir reprendre un script dont il avait acquis
les droits en 1976 mais, se jugeant trop jeune pour le rôle principal à
ce moment là, qu’il avait fini par écarter. Impitoyable,
ce western crépusculaire, n’attire pas vraiment les financiers. La
Warner, le studio qui l’aura suivi toute sa carrière, accepte de payer, à
condition de le voir jouer dans la relève avec Charlie Sheen, un film en forme d’ersatz de Harry Callahan. Pour le studio, il s’agissait d’un moyen détourné pour convaincre Clint Eastwood qui en avait fini avec la franchise Dirty harry
de reprendre le rôle d’un flic teigneux aux méthodes discutables.
L’acteur accepta le deal proposé, réalisa le film qui fut un succès
assez modéré au moment de la sortie en salle à cause de la concurrence,
non prévue par la Warner, de deux films : Misery et Home Alone.
Le scénario d’Impitoyable a tout pour plaire à Eastwood.
Fasciné par l’origine des violences dans l’histoire américaine, ou la
violence de l’origine (dans le sens naissance des USA), chacun de ces
deux termes se mélangeant allégrement dans la filmographie du
réalisateur, Impitoyable est un condensé d’histoires
brutales se regroupant et se coupant pour un final sanglant où personne
ne sort vainqueur. L’injustice de départ (une prostituée défigurée)
considérée comme l’origine de cette violence n’a finalement pas
d’importance, il s’agit d’un prétexte à une vengeance dont le personnage
principal joué par le réalisateur ne comprend pas les contours et les
répercussions. Pas plus que les autres personnages d’ailleurs, aucun
semble être maître de son destin, ils se retrouvent mêlés au gré du vent
semant sur leur passage mort et désolation pas toujours volontairement,
pas toujours de manière efficace, pas toujours pour les "bonnes"
raisons qu’ils croient défendre.
Le réalisateur a toujours voulu incarner le personnage principal,
William Munny, un ancien desperado devenu fermier qui sort de sa
retraite pour un dernier contrat. Devenu père de famille, ce dernier n’a
plus qu’un souhait : cultiver sa terre pour nourrir sa famille et
oublier son passé peu reluisant. La prime offerte par les prostituées
pour tuer les deux cowboys responsables de la défiguration d’une de
leurs consœurs réveille en lui un désir de violence qu’il croyait
enfoui. Sous prétexte de l’aide indéniable que pourrait apporter cet
argent dans une petite exploitation agricole, il finira par accepter le
contrat au nom d’une justice dont il se moque mais surtout au nom d’une
repentance pour une jeunesse peu glorieuse et qui l’a rendu célèbre.
Pour l’aider, côté casting, Clint Eastwood fera appel pour la première fois à Morgan Freeman et à deux autres vieux de la vieille Gene Hackman et Richard Harris.
Un quatuor de papy tient donc la tête d’affiche. Pas vraiment de quoi
rassurer, mais pour la Warner cela importe peu, il ne s’agit pas là d’un
film à gros budget.
Impitoyable arrive à un moment très particulier aux
USA, puisqu’il est tourné peu de temps après l’affaire Rodney King. La
violence gratuite de policier envahit les petits écrans aux USA. Il
s’agit là pour Clint Eastwood d’une confirmation de la
nécessité de ce film en même temps que de l’intemporalité du sujet dans
la société américaine. Il choisit d’ailleurs de situer une scène très
violente d’Impitoyable le 4 juillet, fête de l’indépendance, celle de la rencontre et l’affrontement entre le shérif joué par Gene Hackman et English Bob campé par Richard Harris.
Après le tournage, d’une durée très courte, comme à son habitude, reste
l’épineuse question de savoir comment convaincre le public d’aller voir
un film dont le genre n’est plus à la mode depuis au moins deux
décennies. Si l’actualité Rodney King a involontairement aidé Impitoyable,
le film, sorti en 1992, bénéficie également d’un concours de
circonstance qui va lui permettre d’atteindre de nombreux spectateurs.
Cette année marque en effet la fin d’un règne de près de 30 ans sur les
émissions nocturnes à la télévision de Johnny Carson présentateur du tonight show
sur NBC. Les derniers mois de son passage à l’antenne ont été marqués
par des audiences défiant toutes concurrences pour un show si tardif
(23:30/1:00) même pour ce présentateur qu’on appelait the king of late night television,
une légende aux USA. N’ayant plus rien à prouver et se retrouvant libre
d’inviter qui bon lui semblait, sans tenir compte des obligations
marketing, Johnny Carson demanda à Clint Eastwood de parler de son western dans son émission. Les premières très positives critiques aidant, son passage chez Johnny Carson,
le film fut un succès considérable puisqu’il rapporta plus de 100
millions de dollars sur le sol américain et 58 de plus dans le reste du
monde. En signant un film dont le genre désuet devait le pousser à
l’échec, Clint Eastwood en a fait son plus grand succès critique et commercial.
Après le succès, viennent des récompenses couronnant un artiste de
premier plan sur toute sa carrière. Lors de la 65e cérémonie des Oscars,
le film se retrouva en tête des nominations avec 9 citations dont 3
pour Eastwood, une comme producteur, une comme acteur
et une comme réalisateur. Le film en emporta 4, dont celle du meilleur
film et du meilleur réalisateur. On pensait alors que Clint Eastwood
était au sommet de sa carrière, qu’il pourrait se reposer sur des
lauriers bien mérités, mais ce dont on se rend compte maintenant, c’est…
que ce n’était qu’un début !
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