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lundi 21 novembre 2011

Drive de Nicolas Winding Refn by Jim

If I drive for you, you give me a time and a place. I give you a five-minute window, anything happens in that five minutes and I'm yours no matter what. I don't sit in while you're running it down; I don't carry a gun... I drive (The Driver)



Drive commence sur ces quelques mots d’un homme mystérieux qui porte un blouson orné d’un scorpion dans le dos. L’homme regarde les lumières de la ville – Los Angeles – et part dans l’ombre, dans la nuit. La première vraie séquence du film montre ce même homme dans une activité qu’il maîtrise avec brio et froideur : celle d’être le chauffeur de malfrats qui font des casses. Son cure-dent coincé entre les lèvres, des cernes marquées sur son visage, « The Driver » ne fait qu’une chose : conduire.

Drive est le film de la consécration, pour Nicolas Winding Refn, le réalisateur de la trilogie danoise Pusher et de Valhalla Rising, mais aussi pour Ryan Gosling, un acteur qui, depuis ces quelques dernières années, ne cesse de nous épater avec des rôles qui vont toujours plus loin dans le grandiose. Refn s’est vu récompenser – pour sa réalisation épatante et stylée - avec le prix de la mise en scène, à Cannes, en 2011, et Gosling, lui, s’est contenté de devenir une figure, un acteur imparable, forcément et définitivement incontournable. Dorénavant, quand on parlera de l’acteur canadien, ce sera pour l’encenser dans le rôle difficile du Driver, ce personnage étrange, quasi-impassible, presqu’incompréhensible, mais tellement soucieux d’une chose : de la femme qu’il aime, même s’il n’a pas le droit de le faire. On peut dire que dans la carrière de Gosling, il y aura un avant et un après Drive ; il est entré dans la cour des grands, est devenu intemporel, comme un De Niro avec Taxi Driver, un Pacino avec Scarface, ou un Brando avec The Godfather. The Driver est un rôle comme on en a une fois dans sa vie. Un de ces rôles qui vont marquer des générations de cinéphiles à force de leur glacer le sang et de les pousser dans leurs derniers retranchements. Pour revenir à Refn, il a également beaucoup de mérite : celui de faire un film qui n’appartient à aucun genre, qui défie les catégories : si le fond de l’histoire peut faire penser au western (le cowboy solitaire qui sauve la veuve et l’orphelin), en une heure quarante on passe du drame à la sauce Cronenberg (certaines scènes font penser à A History of Violence) au romantique anti-mainstream (l’histoire entre Irene et The Driver ne tombe jamais dans le cliché rose bonbon).

Bien sûr, Drive est tout sauf un film d’action : il n’y a que deux scènes de poursuite en voiture – parfaitement maîtrisées-, et, on s’attarde plus sur The Driver que sur les cascades. C’est un peu ça Drive : un film bizarre, violent, inattendu, stylé, mais pas un Fast and Furious 6, et heureusement. D’un point de vue psychologique, on n’entre jamais dans les clichés faciles, ni dans les heuristiques habituelles : le personnage principal, The Driver, ou Kid pour son boss, est un personnage comme on en voit rarement, difficile à cerner : on ne sait rien de lui, ni son prénom, ni s’il est fils, frère ou ami. Un mystère total joué avec brio par Gosling, qui cultive sa part d’ombre pour nous emmener là où on ne revient plus, ou du moins, où chaque minute est lourd, véhémente. En plus d’être aussi fuyant qu’une ombre, The Driver séduit. Même lorsqu’il est méthodique, distant, placide, violent d’une certaine façon, le personnage ne perd aucunement son charisme : il étincelle, il est le sexe à l’état pur. Les rares sourires qui ornent le visage du Driver ne sont que des sortilèges qu’il lance, sans le savoir : sa dualité est elle-même enivrante, presque magique, surtout parce que tout ce qu’il fait, même les gestes les plus virulents, ne sont que le résultat de son envie de protéger celle qui fait battre son cœur.



En dehors de Gosling, il y a Carey Mulligan, sombre et tellement vraie qu’elle éclipse ses précédentes (excellentes) prestations, que ce soit dans An Education ou dans Never Let Me Go. Le duo formé avec Gosling est d’autant plus intéressant de par le fait qu’il est voué à l’échec : les deux amoureux maudits ne sont pas censés vivre le bonheur, leurs destinées ne doivent pas connaître un point d’intersection. Pour l’actrice anglaise au regard d’ordinaire mutin, le film est une occasion de briller et de jouer avec ses plus beaux regards, ses expressions les plus vives. Mais la présence de son personnage, Irene, ne dissimule pas toute l’intrigue inquiétante et (plus) intéressante : si le film effleure l’amour, et le considère comme moteur principal de l’action, il n’en fait pas le simple propos. Bryan Cranston, figure centrale de la série Breaking Bad, tient un rôle clef, entouré de deux ténors cruels aux mains sales : Albert Brooks et Ron Perlman (inoubliable One dans La Cité des Enfants Perdus de Jeunet et Caro). On rejoint encore l’aspect western à cause de ces derniers, qui font figure de brutes et truands en comparaison avec The Driver qui serait un héros.

Si le clin d’œil aux westerns est évident, celui aux films des années 80 l’est encore plus : on se croirait en train de regarder une histoire qui se passe il y a plus de vingt ans. Los Angeles semble inchangée, les décors ne mettent jamais en avant l’univers quasi high-tech dans lequel nous évoluons actuellement. Les voitures choisies pour le film sont également intemporelles et ne suggèrent pas que le film a été tourné en 2010. La seule chose qui rappelle à la réalité le spectateur, c’est lorsqu’un téléphone portable sonne. Mais le répit est de courte durée, nous voilà de retour dans une autre ambiance, pleine de brouillard et de solitude. Drive rappelle Taxi Driver bien sûr : les deux personnages principaux vivent en marge de la société, et roulent, nous livrent sur un plateau d’argent leurs villes respectives. Mais là où les deux films diffèrent, c’est dans l’exploration de la psychologie des personnages : The Driver n’est pas le taxi driver, puisque de ce dernier on connaît le passé. De plus, le taxi driver, lui, devient fou, alors que The Driver, lui, habite psychiquement dans le monde, agit en réfléchissant de façon « raisonnable ».



Ce qui aide beaucoup Refn à scotcher et à charmer, c’est la musique du film. Les morceaux composés par Cliff Martinez sont en parfaite adéquation avec les chansons exploitées plus que judicieusement à certains moments, dont la très « à -propos » A Real Hero de College & Electric Youth. Toutes les chansons rajoutées – à l’exception de Oh My Love de Riz Ortolani – peuvent être taxées d’« electro-pop », avec des tonalités romantiques, qui se prêtent à la relation de The Driver et d’Irene. Dans le registre électronique, il y a aussi Tick of the Clock de The Chromatics qui énerve à cause de la tension qu’elle suggère, mais c’est tout à fait normal et enviable, le morceau sert pour la première séquence où on voit The Driver en plein casse. En dehors de la musique, la photographie occupe aussi une place prépondérante : les couleurs de Los Angeles by night donnent une impression particulière, entre fièvre et peur. D’ailleurs, la plupart des plans du film sont tournés dans l’obscurité ou dans des lumières artificielles, ce qui rend encore plus poétique l’esthétique générale. Même les couleurs les plus crues deviennent donc une explosion de beauté, de splendeur, de chaleur.

Refn n’a pas volé son prix de la mise en scène : chaque scène a son importance, est filmée avec un savoir-faire inégalable. Quand un film est bien réalisé, c’est lorsqu’il partage un imaginaire, une vision qui est unique, incroyable. Le pari est réussi avec Drive : on nous présente un univers inclassable, un personnage principal mi-ange mi-démon qui transpire de charisme, un mélange jouissif des genres, une surprise qui prend des airs de poing dans la gueule, mais qui sous la couche de sang, est un baiser langoureux et sensuel.

Trailer

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