Après le succès rencontré avec Memento, Christopher Nolan entre dans la cour des grands de Hollywood et peut se permettre de rassembler des acteurs de taille au sein de ses films. C’est avec Insomnia que Al Pacino et Robin Williams vont nous livrer un thriller haletant d’une originalité particulière.
Insomnia raconte l’histoire d’un policier sur la trace d’un criminel accusé du meurtre d’une jeune fille. Lors d’une opération visant à retrouver ce coupable, Le détective Will Dormer (Al Pacino) tire involontairement sur un de ces collèges pensant qu’il tenait le meurtrier dans son champ. Une telle bavure détruirait entièrement sa réputation ainsi que sa carrière, alors le détective préfère étouffer l’affaire. Seul petit bémol, l’écrivain et meurtrier Walter Finch a vu ce qui s’est passé. Une longue relation de rivalité commence entre les deux protagonistes, l’un ne voulant pas que l’on sache son secret, l’autre voulant simplement ne pas continuer l’affaire et le laisser tranquille pour le reste de sa vie. La situation sera encore plus compliquée pour le détective, ce dernier souffrant d’insomnie depuis le meurtre de son collègue.
Le duo Pacino/Williams est très inhabituel. Nous connaissons tous Al Pacino pour ses rôles de Mafieux dans les films de Francis Ford Coppola et Brian de Palma. Robin Williams, par contre, fréquente plutôt le cinéma humaniste avec des grands rôles comme Le cercle des poètes disparus, Goodmorning Vietnam, Fisher King en passant également par du cinéma pour le jeune publique avec Hook, Jumanji, Flubber et même la voix du génie dans Aladdin.
Plus surprenant encore, Robin Williams tient le rôle du méchant. Un méchant magnifiquement campé par l’acteur le rendant plus humain que jamais dans ses explications de son meurtre. C’est peut-être pour cela d’ailleurs que Christopher Nolan a voulu donner ce rôle à Robin Williams. Ce dernier dira même : "C'est passionnant d'interpréter un homme aussi méprisable que Walter Finch, qui vous incite à explorer les zones les plus obscures de notre personnalité : la séduction du mal ou sa banalité par exemple."
Le film, en plus des acteurs renommés, inaugure également une autre nouveauté chez le réalisateur. C’est, en effet, la première fois que Chris réalise un remake. Insomnia (original) est un film norvégien sortir 5 ans plus tôt par Erik Skjoldbjaerg. C’est donc inhabituel chez le réalisateur de se concentrer sur un film ou l’idée originale scénaristique n’est pas de lui où son frère.
Malgré ces deux nouveautés, nous reconnaissons facilement le style Nolan avec une histoire mystérieuse et originale, une réalisation particulière dont Chris utilise toutes ces fonctions pour immerger le plus possible le spectateur… Mais également le début d’une nouvelle particularité qui la suivra à travers ses prochains films à savoir la rivalité entre deux personnages. Sujet que l’on retrouve dans The Prestige avec Hugh Jackman et Christian Bale ainsi que Batman Begins et The Dark Knight où la chauve-souris combat dans l’un l’épouvantail et dans l’autre son ennemi juré le Joker.
Un film portant un tel titre ne pouvait passer à côté de l’insistance d’un manque de sommeil de la part du détective. Pour se faire, Christopher Nolan et son directeur de la photographie Wally Pfister ont joué énormément avec la lumière pour faire une sorte de lien avec la difficulté qu’a Al Pacino à dormir. Pfister explique : "La lumière occupe une telle place dans l'histoire et l'évolution de Will que nous la considérions comme un personnage en soi. C'était passionnant de l'utiliser de cette façon, en jouant à la fois sur sa présence concrète et son rôle symbolique." Cette idée se traduit également dans la conception des décors, Nathan Crowley, également un fidèle dans les films de Nolan a conçu des intérieurs très sombres pour jouer sur le contraste de la lumière. Son truc ? Peindre les décors à l’aide d’une peinture émail. Nous arrivons presque à ressentir la fatigue qu’éprouve le détective Dormer tout le long de son enquête. Et, bien que le directeur de la photographie et le chef décorateur ont tout fait pour, c’est bel et bien grâce à la performance d’Al Pacino que nous sommes réellement affecté par cette lubie.
De l’autre côté, Robin Williams dans le personnage de Walter Finch défend son rôle d’un tout autre aspect. Méticuleux, intelligent, cultivé, clairvoyant, cet homme semble tout avoir dans la vie pour réussir. Seulement, derrière cette carapace se cache un homme taciturne, machiavélique et manipulateur.
Le producteur Andrew Kosove expliquera plus tard le choix de son rôle : "Bien qu'on considère traditionnellement Robin Williams comme une vedette comique, nous avons toujours aimé ses compositions dans des films comme Le Cercle des poètes disparus ou Will hunting. Nous avons pensé qu'il serait fascinant dans le rôle de ce tueur lisse et impénétrable."
Nous l’avons compris, l’atmosphère du film est fatigante, lourde comme la brume au moment du crime. Mais en même temps nous sommes dans cet endroit en alaska où l’on devrait se sentir en pleine nature, en liberté. Nolan arrive totalement à métaphoriser cette notion de fatigue à laquelle on ne peut céder telle une insomnie. On ressent la fatigue qu’éprouve les 2 protagonistes mais impossible de décrocher du film.
Christopher Nolan a très vite compris qu’il n’était pas suffisant de réunir une brochette d’acteurs dans un même film. Ce qui est bien plus intéressant est de confronter deux acteurs différents l’un contre l’autre et de créer un lien tellement particulier que le spectateur ne peut qu’en être séduit, ou tout du moins, intrigué. La méthode de travail des deux acteurs fut d’ailleurs très différente. Robin Williams dira "Ma rencontre avec Al, c'est "Monsieur Méthode" contre "Monsieur N'importe Quoi !"
Christopher Nolan appuiera cette idée : "Robin s'attarde volontiers sur le plateau et aime à faire rire l'équipe, alors qu'Al se tient à l'écart, va se préparer dans son coin et revient fin prêt. Mais ce qui me frappe chez ces deux grands acteurs, c'est leur capacité à se renvoyer la balle, à interagir de façon aussi constructive à partir de méthodes de travail radicalement différentes."
Bien que Al Pacino a l’habitude de fréquenter des rôles de policier ce dernier parlera d’une « première » pour le rôle auquel il a joué : "Will Dormer ne ressemble à aucun de mes personnages antérieurs. C'est un romantique, un flic très différent de ceux que j'ai eu l'occasion de jouer. Mais, en vérité, on retrouve chez les policiers la même diversité que dans le reste de la population, et j'espère bien avoir fait de Frank Serpico (Sidney Lumet) ou du Vincent Hanna de Heat (Michael Mann) des personnages distincts."
(SPOILER)
La trame du film nous montre comment le détective Dormer, à la base différent du meurtrier, adopte petit à petit de nombreuses ressemblances avec ce dernier. Il pense que cet accident n’est pas de sa faute mais uniquement à cause de l’opération menée pour retrouver le meurtrier. Nous nous rendons compte plus tard qu’il ne vaut pas plus que le meurtrier, pire Al Pacino ne veut pas l’avouer. Walter Finch, l’écrivain, essaye pendant tout le film de faire sa rédemption vis-à-vis de son acte tandis que le détective Dormer émane un profond regret de son acte. Les deux protagonistes tentent de se faire pardonner mais en vain. Justice devant se faire, ils meurent tous les deux par l’autre. Une symbolique inévitable dans l’histoire. Le seul point critiquable du film sera donc sa fin assez prévisible.
(FIN DU SPOILER)
Anecdotes :
- La poursuite dans le brouillard constitua un redoutable challenge technique. La production sélectionna pour cet épisode-clé un îlot sauvage au relief accidenté, proche de Vancouver et connu sous le nom d'Indian Arm.
- Le rôle d’Hilary Swank n’est pas anodin étant donné qu’elle ne cherche qu’à faire son travail, de trouver la vérité et de faire justice. Un personnage, en effet, ressemblant fortement à celui de Rachel Dawes dans la saga Batman qui suivra ce film.
Insomnia est incontestablement une réussite tant au niveau scénario et réalisation que la performance des acteurs. Un film qui n’a pas fait énormément de bruit mais qui gagne à être connu grâce à son casting intriguant. Il n’en faudra pas plus pour attiser le regard de la Warner et de confier à Christopher Nolan le projet le plus ambitieux de sa carrière : revisiter le mythe à ses origines dans une perception assombrie du milliardaire Bruce Wayne dans : Batman Begins.
Cordialement, Hablast.
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