Chaque tour de magie est constitué de trois parties, de trois actes. On appelle le premier acte : le pacte. Le magicien vous montre une chose ordinaire. Un jeu de carte, un oiseau ou même un homme. Il vous montre l’objet. Il vous demande peut-être aussi de l’examiner. De vérifier qu’il est bien réel. Qu’il n’a pas été altéré. Que tout est normal. Mais évidemment, ce n’est probablement pas le cas. Le deuxième acte s’appelle l’effet. Le magicien prend la chose ordinaire et lui fait faire quelque chose d’extraordinaire. Vous cherchez alors la clef du mystère mais vous ne la trouvez pas parce que, bien sûr, vous ne la cherchez pas vraiment. Vous ne voulez pas réellement la connaître. Vous voulez être mystifié. Mais vous n’êtes pas encore prêt à applaudir parce que, faire disparaître une chose, n’est pas suffisant. Il faut aussi la faire réapparaître. C’est pourquoi tous les tours de magie comportent un troisième acte. C’est la partie la plus difficile des trois. Celle qu’on appelle : Le Prestige.
Avec ce cinquième long-métrage, Christoher Nolan nous montre une fois de plus tout son talent mettant en scène un thème original : la magie. Tiré du roman éponyme de Christopher Priest, l’histoire raconte la rivalité de deux hommes suite à la mort de la femme d’un des deux magiciens. et qui se manifeste principalement autour d'un tour de magie nommé « l'homme transporté» que les deux protagonistes se disputent.
Niveau casting, pas de quoi se plaindre. Hugh Jackman et Christian Bale sont très bons dans leur prestation. Michael Caine, toujours impeccable dans son jeu de senior sage et prudent, Andy Serkis (Gollum) sympa à voir dans son second rôle, ainsi qu’une Scarlett Johansson dans un rôle inhabituel pour l’actrice. L’affiche partagera même un certain David Bowie dans le mystérieux rôle de Nicolas Tesla.
On retrouve, dans ce film, quelques caractéristiques propre au réalisateur telles qu’une narration non chronologique comme dans Following, Memento, et Batman Begins ainsi que le concept de la dualité entre deux protagonistes tel que nous l’avons déjà vu dans Insomnia. Sans oublier une fin troublante plongeant le spectateur dans la réflexion.
(SPOILER)
La fin du film apporte beaucoup d’éléments en peu de temps, ce qui augmente la difficulté de la compréhension du film, surtout si les spectateurs n’ont pas lu le livre préalablement.
Le film est construit tel un tour de magie à savoir l’acte, l’effet et le prestige. Ce qui voudrait dire que tout ce qui a été narré est faux, que l’on est dans l’illusion. La magie à l’état pure n’existe pas. C’est la manipulation qui prime.
Dans ce cas, la machine à cloner de Angier (Hugh Jackman) n’existe pas. Une étendue de chapeaux dans une forêt ainsi qu’un deuxième chat noir n’est pas suffisant pour prouver le bon fonctionnement d’une telle machine. Cette idée se renforce d’autant plus que nous ne voyons jamais un quelconque chapeau apparaître. Pareil pour Angier, on ne le voit jamais surgir devant nous mais bien sortir d’un endroit dont le champ de vision d’un spectateur ne peut voir. Encore moins disparaître (il est bien montré dans le film qu’il passe par une trappe. Solution ? Un sosie qui va d’ailleurs mourir lorsque Angier (ou un clone ?) devine que Alfred (Christian Bale) s’introduira sous la scène pour voir le truc l’accusant pour le coup comme meurtrier.
Alfred (Bale) fonctionnera d’ailleurs de la même façon en expliquant son histoire de jumeau ; l’un aimant Olivia (Johansson) et l’autre Julia (Perabo).
Mais le plus énigmatique reste à venir. Sur le tout dernier plan, lorsque nous réécoutons la façon dont un tour de magie s’exécute, nous voyons Angier (ou un clone ?) les yeux ouverts dans la cellule de verre remplie d’eau dans laquelle nous apercevons une bulle d’air s’échapper. Le but ici sera, comme dans un tour de magie, d’essayer de deviner en donnant notre interprétation via la vérité de la manipulation. Ce qui est bien sûr impossible et donc voulu par les magiciens ayant pour conséquence de croire ce qui nous arrange.
On retrouve, à l’instar de Mémento, une fin qui nous laisse libre choix d’interprétation. Principe qui semble tenir à coeur chez Nolan.
(FIN DU SPOILER)
La notion de sacrifice est un thème très important dans le film. Jusqu’ou un magicien est-il prêt à aller pour rendre ses tours encore plus prestigieux?
Comme dit précédemment, le film est construit comme les trois actes d’un tour de magie, l’introduction étant le pacte, le film étant l’effet et et le twist finale étant le prestige. Christopher Nolan aura d’ailleurs été très investi dans son style de narration pour la réalisation de son film. Lui et son directeur de la photographie Wally Pfister ont tenu à filmer d’une telle façon à ce qu’on se rapproche vraiment de la vision d’un spectateur allant voir des tours de magie. Nolan explique : “On a essayé , autant que possible de filmer les scènes caméra à l'épaule pour capter la beauté de l'instant (...) c'était beaucoup plus efficace et spontané. C'est une démarche originale et libératrice qui donne au film un style naturaliste et qui se distingue nettement de l'approche actuelle du film en costume".
Ainsi Christian Bale et Hugh Jackman joue chacun un rôle, propre au départ, et de plus en plus obsédant par la suite. Le Prestige sensé apporter du bien devient indirectement le mal car il est de plus en plus difficile à atteindre et pour y parvenir, il devient impossible de ne pas passer par cette affliction.
Il devient alors facile de déceler la métaphore, implicitement évoqué par l’auteur du roman éponyme Christopher Priest : l’accoutumance et toutes les sortes de dépendances entrainent inévitablement l’extinction. La soif du Prestige amène à la destruction de soi et de son entourage, une dépendance impossible à geler tellement l’effet que produit celui-ci augmente en puissance jours après jours ou plutôt, tours après tours.
On retrouve, par ailleurs, cette notion chère à Nolan déjà évoqué dans Batman Begins qu’est le sacrifice. Il faut faire un choix : rompre avec le Prestige où sacrifier sa personne. Un sacrifice qui pourra s’avérer fatal pour les deux protagonistes mais qui dit qu’ils ne convoitaient pas plus cette issue qu’une autre ? Ainsi Christopher Nolan évoque l’importance que peut avoir un certain Bruce Wayne , Robert Angier où Alfred Borden à parvenir à cette abnégation pour assouvir cette sorte d’altruiste d’autrui pouvant refléter un égoïsme extérieur au sens où ils pensent à eux). Une notion plutôt délicate car dans un point de vue plus philosophique, ce sacrifice d’autrui créé la contradiction avec son but qui est de satisfaire son besoin. C’est idée poussée jusqu'à son paroxysme n’est pas étonnant de la part de Nolan et nous la retrouvons une fois de plus dans The Dark Knight (à suivre).
Ce qui est étrange avec ce film, c’est que, comme dans un tour de magie, nous avons du mal à nous souvenir de la fin, de l’explication. Il est très fréquent chez les gens de ne pas se souvenir du fonctionnement d’un tour après quelques mois même si on nous l’a expliqué plusieurs fois (bien entendu cela dépend des personnes). L’explication à cet étrange phénomène réside tout simplement de part le fait qu’au plus nous jouons sur l’èthos(confiance, charisme de l’orateur; ici le magicien) et le pathos (émotion, ressenti du public, les sentiments) au plus nous en oublions le logos (contenu).
Ainsi, The Prestige est un exemple de ce que Aristote, Ciceron et Quitilien disaient à propos du discours rhétorique : “Ce qui compte n’est pas tant la qualité de ce qu’on a composé dans son for intérieur que la manière dont on le traduit extérieurement”. Autrement dit, l’importance de donner une impression profonde au spectateur ne réside pas dans son contenu mais de la manière dont est orchestré ce contenu. Michael Caine, dans son rôle de narrateur du film, résume d’ailleurs très bien cela: “Vous cherchez alors la clef du mystère, mais vous ne la trouverez pas parce que bien sûr vous ne la cherchez pas vraiment, vous ne voulez pas réellement la connaître, vous voulez être mystifié”. Une notion impeccablement maîtrisé par Christopher Nolan dans sa mise en scène.
Après 5 films assez distincts de par leur genre, nous pouvons conclure que Christopher Nolan à une vision très poussée des possibilités techniques cinématographiques. Il arrive à comprendre comment appliquer un ressenti, une pensée, une idée dans un film. Nous en avons été bouleversé depuis le twist ending de Following ainsi que l’énigmatique fin de Memento confrontant notre mémoire à long terme avec un protagoniste qui n’en a pas ce qui remet en cause la narration d’un film. Nous continuons à l’être avec l’alliage impressionniste du monde de la magie avec celui du cinéma dans The Prestige.
Il faudrait bien sûr des dizaines de pages pour expliquer la psychologie cinématographique de Christopher Nolan mais il est possible d’éclaircir en quelques phrases sa vision. Christopher Nolan a en fait une vue céleste, aérienne sur, d’une part ce qu’il veut réaliser et d’autre part sur le cinéma. Il ne regarde pas un problème de face mais de haut ce qui lui permet de pouvoir, à chaque fois, trouver le plus parfaitement possible la combinaison des deux facteurs qui font le corps du film. Ainsi le sentiment d’incomphrension de Bill dans Following, La manipulation ressentie du au montage anti-chronologique de Memento, la fatigue que l’on éprouve pour Al Pacino dans Insomnia et enfin le sentiment émerveillé qui nous laisse coi, tel un public assistant à une soirée de magie, à la fin de The Prestige sont le résultat d’une imagination créative, logique et extraordinairement juste d’un génie du septième art contemporain.
Les deux épisodes sur Batman ont plus tendance à échapper à cette règle à cause du fait, premièrement que Nolan à reçu des obligation vis-à-vis de Batman Begins lui privant de certaines libertés et surtout par la simple et bonne raison que la franchise de l’homme chauve-souris est enraciné sur des bases que Chris ne peut pas changer pour l’adapter à sa formule.
Encore une fois, le film de Chris sera très bien accueilli. Doté d’un budget de 41 millions de dollars, il en remportera 110$. Décerné par 75% de critiques positives et d’une notre moyenne de 7,1/10, le film aura bel et bien trouvé son prestige. Christopher Priest, l’auteur du roman éponyme visionnera 3 fois le films pendant le 05 janvier 2007 et s’exclamera: “Well, holy shit.' I was thinking, 'God, I like that,' and 'Oh, I wish I'd thought of that.'"
Anecdotes:
- Les références des deux personnages principaux Alfred Borden et Robert Angier forme ABRA pour ABRACADABRA.
- Les scènes tournées dans de grands théâtre londoniens ont en fait été tourné dans de vieux cinémas de Los Angeles.
- Sam Mendes aurait souhaité réaliser ce film mais l’auteur du roman a préféré confier la réalisation à Christopher Nolan.
- Le bébé d’Alfred Borden (Bale) dans le film est un des enfants de Christopher Nolan.
- Il va sans dire que Hugh Jackman et Christian Bale se sont entraîné au métier d’illusionniste. Ils ont suivi des cours donnés par de vrais magiciens : Ricky Jay et Michael Weber.
- Ricky Jay explique la rivalité des magiciens : « Ce type de compétition entre magiciens a vraiment existé. A une époque, il pouvait y avoir à Londres jusqu'à cinq ou six magiciens qui se produisaient dans plusieurs théâtres, le même soir et cette époque est unique dans l'histoire de la magie. Ce qui était intéressant, c'est qu'il s'agit d'une époque où le cinéma naissant et la magie avaient beaucoup en commun. "
- Pour créer l’atelier de Alfred Borden (Bale), Nathan Crowley, le chef décorateur, s’est inspiré de l’atelier du magicien Houdini.
- Les costumes ont également constitués une attention particulière. Rebecca Hall qui interprète le rôle de Sarah Borden commente : " En général, je suis plutôt avachie, mais en portant ces vêtements, j'ai eu l'impression de me comporter en grande dame »
The Prestige a été un film bien peu désiré. Les premiers fans de Batman Begins déploreront cette coupure dans les projets du réalisateur préférant faire un écart entre Batman Begins et the Dark Knight. Ils auront tout de même du se résigner à attendre la suite des aventures du chevalier masqué pour The Prestige. Mais ce léger désagrément a bien vite été effacé de par, une nouvelle fois, un long-métrage très convainquant du au talent de Christopher Nolan. C’est la tête reposée que le réalisateur est prêt à nous entrainer dans les recoins les plus sombres du milliardaire Bruce Wayne dans : The Dark Knight.
Cordialement, Hablast.
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