Il est des films divertissants qui font parler d'eux et des films plus engagés, voire essentiels, qui restent davantage dans l'ombre car ils traitent d'un sujet délicat et pas à la portée de tout le monde.
C'est le cas de Trade, sous-titré les trafiquants de l'ombre. Film réalisé en 2007 par Marco Kreuzpaintner qui signe ici un film dur et sans concessions sur l'un des sujets les plus tabous dans notre société moderne.
(affiche sans équivoque à l'esthétique vraiment superbe je trouve)
Synopsis
Jorge, jeune mexicain de 17 ans, vit de menus larcins commis avec des amis à lui, détroussant les touristes de manière plus ou moins habile.
Le jour où Adriana, sa petite sœur de 13 ans, est kidnappée, Jorge entame une quête désespérée à travers le Mexique pour la retrouver.
Alors que les obstacles se font de plus en plus nombreux et qu'il devient de plus en plus clair que sa sœur a été embarquée par un réseau de prostitution, Jorge trouve un allié inattendu en la personne de Ray, un flic désabusé qui semble suivre une quête bien personnelle et dont les motivations font de lui son allié.
Analyse
Kreuzpainter signe ici un film sombre sur l'un des trafics les plus nauséabonds de nos sociétés modernes : le trafic sexuel. Le film ne parle pas que de prostitution au sens propre, mais s'attaque vraiment à quelque chose d'une envergure tout autre, à la vente de femmes et d'enfants à des particuliers qui peuvent les acheter via des réseaux spécialisés pour en faire on se doute quoi.
Le film décrit très bien le fonctionnement de ces réseaux, comment de jeunes immigrées souhaitant trouver une vie meilleure aux USA par exemple se font enlever, séquestrer puis violer avant de finir sur le trottoir quelque-part dans le monde capitaliste.
Trade mêle deux histoires parallèles, celle de Jorge et de Ray qui, de l'extérieur, tente de sauver Adriana de ce piège et celle de Veronika, une jeune polonaise victime d'un réseau de prostituion et qui prend la jeune Adriana sous son aile pour la protéger plus que possible des abus de ses tortionnaires, offrant une vision de l'intérieur du réseau.
Le film évoque également le prix de la virginité chez les jeunes filles, "marchandisant" cet aspect et en présentant cela comme un article rare et demandé. Il est en de même pour les jeunes garçons, principal "article" attendu dans les milieux pédophiles.
(Tout s'achète...)
La mise en scène est saisissante et joue avec les ralentis et les gros plans, notamment dans les scènes difficiles, fixant la caméra sur le visage des acteurs pour capter au mieux leurs émotions, leurs pensées, ce qui est somme toute très déroutant quand cela concerne un homme d'âge mûr qui pourrait être votre voisin et qui entraine une gamine de 13 ans dans des abris clandestins pour se faire faire une petite gâterie sur le chemin de la déportation dudit réseau.
Le film joue également avec une certaine banalisation (et non banalité) des scènes et des situations. En effet, les méchants ne semblent pas forcément monstrueux, les lieux de transit varient de la maison délabrée au petit pavillon de banlieue, les "consommateurs" sont des gens banals que l'on peut croiser n'importe où...
C'est sans doute l'une des raisons (outre le budget j'imagine) qui fait que les acteurs principaux de ce film ne soient pas connus. Outre Kevin Kline que l'on a pu voir au cinéma régulièrement, les autres acteurs sont méconnus, mais très bons et très naturels dans leur rôle. Le jeune Cesar Romas, interprète de Jorge, tire son épingle du jeu, jouant sur le côté "sanguin" du latino, mais également sur le côté fragile du frère effrayé qui se sent responsable de l'enlèvement de sa sœur.
Le rôle de Verokina, interprétée par Alicja Bachleda-Curuś (madame Colin Farrell), est sans défaut, puissant dans une interprétation dramatique mais pleine de dignité et de courage.
(... parce que tout se vend.)
Le film fait une forte entrée en matière également puisque Jorge et ses amis proposent aux touristes d'aller voir des jeunes filles, leur montrant des photos sans équivoque, et profitent de la confiance des voyageurs ainsi que de l'intérêt qu'ils ont pour ce genre de commerce pour les détrousser. Une nouvelle fois, cette scène démontre une banalisation du tourisme sexuel dans les pays concernés.
Trade allie des scènes très dures, des scènes de libération et des scènes d'angoisse sur un fond musical très bien choisi, la BO étant composé de chansons et de morceaux divers et variés (désolé mais je n'ai pas trouvé de morceaux à écouter).
Pour conclure, Trade est un film à voir malgré un thème pas facilement abordable, car il traite d'un sujet trop souvent tu. Le cinéma, outre une dimension divertissante, peut également avoir une dimension informative et préventive comme le montre la réalisation de Kreuzpaintner.
Avant ce film, jamais je n'aurais imaginé que ce genre de trafic puisse aller aussi loin et la conclusion narrative du film est tout simplement écœurante.
"La CIA estime qu'entre 50.000 et 100.000 filles, garçons et femmes sont amenés chaque année aux USA pour y être prostitués ou vendus comme objets sexuels. A travers le monde, plus d'un million de personne sont "trafiquées" contre leur gré. Nous ne trouvons pas de victimes aux Etats-Unis car nous n'en cherchons pas." -L'expert en trafic humain auprès du département d'Etat-
La scène finale est quant à elle une belle démonstration de l'ironie et du paradoxe du comportement humain. Elle a quelque chose de terrible, un constat et un réalisme éprouvant (Jorge en fera la triste expérience) qui ne laisse pas indifférent et dont on ne sort pas entièrement indemne.
Un film insupportable mais magnifique que je conseille vivement.
Trailer
Une des plus belles scènes du film /!\ SPOIL IN IT
(à noter la chanson du trailer et de la scène : Agnus Dei de Rufus Wainwright)
A vous !
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