Dix-septième film de David Cronenberg, A History of Violence, sorti en 2005, qui a fait partie de la compétition officielle du festival de Cannes la même année, met en scène la dualité entre deux mondes : celui de la violence, et celui de la tranquillité.
Le film se déroule en trois actes, trois actes non-préalablement annoncés par Cronenberg, mais aisément décelables par le spectateur : le premier est celui de la présentation, de la tranquillité qui devient perturbée par une violence inouïe, gratuite et déchaînée, le deuxième, de la tranquillité qui devient une façade, qui découle de la violence, et le troisième, de la violence qui veut devenir une façade. Pour des raisons de « spoiler », l'article ne détaillera pas les deux derniers actes, c'est évident, mais s'attardera sur certains points.
A History of Violence s'ouvre sur un travelling de deux hommes qui quittent un hôtel. Après cinq minutes de tergiversations, la caméra suit l'un deux, qui revient prendre de l'eau, nonchalant, alors que des cadavres gisent par terre et qu'une petite fille, vivante, assiste à la scène avant d'être assassinée.
Une enfant se réveille, dans son lit, pleurant, prétextant avoir vu des monstres. Son père, Tom Stall (Viggo Mortensen) la rassure, répétant inlassablement que les monstres n'existent pas, il n'y en a pas. Premier sous-entendu scénaristique sur la complexité de la psychologie des personnages qui vont se développer sous le nez du spectateur.
Les Stall sont une famille normale, vivant dans une petite bourgade de l'Indiana, le père tenant un petit restaurant dans le centre-ville (d'un mouchoir de poche), la vie étant sans histoires, paisible, jusqu'au soir où les deux tueurs du début font irruption dans le restaurant. Alors que la tension est à son comble, qu'un des hommes essaye de tuer la serveuse, Tom, avec des réflexes méthodiques, tue les deux hommes, et devient un héros pour la communauté locale, l'affaire passant à la télévision, dans les journaux.
Cependant, peu de temps après, un homme étrange apparenté à la mafia de la côte est vient au restaurant et prend Tom pour un dénommé Joey...
Qui est Tom Stall? Qui est Joey? Qui sont ces mafieux? Comment un homme d'ordinaire doux, attentionné, a-t-il pu tuer deux malfrats, d'une telle façon? Légitime défense? Folie sous-jacente qui ne demande qu'à éclater? Si Tom était Joey comment est-il devenu quelqu'un d'autre?
Les indices sont disséminés avec beaucoup de savoir-faire à travers les dialogues, les plans, les jeux d'acteurs, la portée des interprétations des acteurs étant tout à fait non-discutable quant à l'élaboration de l'histoire totale, celle qui n'est pas présentée ici, mais qu'on voit s'ébaucher à travers chaque pièce du puzzle qu'un personnage apporte.
Chapeau bas à Viggo Mortensen, qui, n'a pas besoin de longues tirades pour prouver son talent, son corps parle assez pour lui, son visage semblant déclamer plus de signes que le moindre monologue.
Cronenberg aimant beaucoup parler de la psychologie des personnages, il n'est pas étonnant de trouver un personnage aussi alambiqué que Tom, déroutant, posant d'innombrables questions et étonnant toujours. Néanmoins, le fils de Tom, Jack, est aussi un cas intéressant : son évolution, à travers le film, au contact de la violence (celle d'un garçon de son école qui n'arrête pas de le provoquer, et enfin, celle qui a eu un impact sur la communauté), est des plus dangereuses, prenant une direction exponentiellement grave.
« A History of Violence » se traduit par « Un Passé Violent », littéralement, bien que les québécois ont opté pour la version « Une Histoire de Violence », étant d'ailleurs un titre à double sens, renvoyant au présent qui est violent, et le passé qu'on suggère avoir été empreint d'une énorme violence.
La violence est donc le thème principal, lorsque l'identité ne prend pas le dessus : les deux concepts voguent, dansent, l'un devenant prépondérant à un moment, avant que l'inverse ne se reproduise : il s'agit d'un mouvement fréquent, mais dont les deux parties sont liées, inévitablement.
C'est par la violence que l'identité s'est construite, c'est dans l'identité même qu'est la source de la violence, et c'est l'identité qui définit la violence.
D'ailleurs, les scènes violentes, telles qu'elles sont présentées, ne sentent pas la minimisation, ni l'égayement : on montre les choses comme elles sont, sans chorégraphie, sans vouloir apaiser celui qui se risque à regarder, sans frôler le gore non plus. Un besoin de retrouver la réalité, à travers les blessures, les coups qu'on donne, les écorchures qu'on prend.
L'identité, elle, pour le personnage de Tom et celui de Jack, est ébranlée, dérangée de ses habitudes : l'élément nouveau balaye tout sur son passage, pour un temps, le temps de la violence.
David Cronenberg, par des choix de réalisation très judicieux, sème une ambiance particulière, des questions, et, beaucoup de symboles. Chaque geste, chaque œil qui cligne, chaque bouche qui forme une grimace est matière à analyse, à allégorie cachée.
Malgré un certain dédain des instances donnant des récompenses, A History of Violence sort du lot des films sur la violence, s'inscrit dans une logique très psycho-philosophique de la vision des choses, et mérite plus qu'amplement un coup d'œil intéressé.
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