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vendredi 8 octobre 2010

l'Homme des hautes plaines de Clint Eastwood (1973) by Evi

Tout commence avec un mirage, une musique discordante, un cavalier qui sort peu à peu du brouillard tel un fantôme, un fantôme sans nom.



Pour sa deuxième réalisation, Clint Eastwood reprend le mythe du cavalier sans nom exploité dans la trilogie de Leone. Mais si, chez Leone l'origine du cavalier (ou plutôt son absence d'origine) n'a pas grande importance car on sait qu'il est fait de chair et de sang, ici, cette absence d'information amène une atmosphère pesante qui va donner au film toute sa puissance.
En effet, l'histoire en elle-même est assez simple, on ne peut pas dire qu'Eastwood se soit foulé à écrire son scénario. Mais je ne pense pas que c'est ce qu'il a recherché, à faire un scénario dense avec une intrigue à se retrouver sur le cul à la fin du film. Pas du tout. Le film ne dépend que des personnages, et plus particulièrement de ce cavalier sans nom (évidemment). C'est un western qui recherche le cruel. On est loin des John-Wayne-tout-beau-tout-propre-tout-juste ou des Leone-Blondin-t'es-qu'un-gros-salopard (comment ça je caricature ?). On a un homme, un cavalier sans nom, le personnage principal mais ce n'est en aucun cas un héros, au contraire. Il est sale, immoral, profiteur, tueur, il transforme la ville en véritable enfer (aux sens propre et figuré), il met des gens dehors, il abandonne les habitants à l'arrivée des trois méchants, il se moque d'un prêtre, bref, c'est un gros salaud, en tout cas c'est ce que tout le monde pense.

L'histoire :

Un cavalier arrive dans une petite ville (une rue et une quinzaine de maisons) nommée Lago. Il traverse la rue pour arriver au saloon de l'autre côté, tous les habitants le scrutent. Au saloon, trois kékés le provoquent, mais cet homme n'a rien à faire de cloportes pareils et il part se faire raser. Pas de bol, les trois kékés ont mal pris la chose, ils le suivent dans le but de le tuer, mais ce sont eux qui se font dégommer. Évidemment, la chose ne passe pas inaperçue dans la ville. Il se trouve qu'en plus de cela, trois bandits, qui ont juré de venir ravager la ville pour se venger, viennent de sortir de prison. Les habitants ne doutent pas un instant qu'ils vont tenir leur promesse, ils ont besoin d'un homme fort, d'un tueur pour les sauver, et l'inconnu est là. Il va d'abord refuser. Après tout qu'est ce qui le retient ici ? Il n'aura de cesse pendant le film de répéter qu'il n'a aucune raison de rester dans cette ville, que rien ne l'y attache. Pourtant le spectateur sait que quelque chose se trame. Il le sait sans le savoir dès que l'inconnu se retourne au coup de fouet avant d'entrer dans le saloon. Puis il le sait vraiment quand les flashbacks commencent, (spoiler) ces flashbacks où l'on voit un homme se faire fouetter à mort par trois méchants (ceux qui sortent de prison) pendant que tous les habitants regardent sans rien dire (fin du spoiler). Mais il finit par accepter la demande des habitants à conditions qu'il puisse faire tout ce qu'il veut. Si les premières demandes sont « normales » (bottes, pistolets, etc.), les suivantes seront pires, jusqu'à transformer la ville en enfer.


welcome to hell


welcome too

Les personnages :

Commençons par ceux qui m'ont fait le plus sourire (voire rire), les personnages féminins. Il n'y en a que deux de notables : une blonde nymphomane, et une brune mariée et rangée. Ils sont assez stéréotypés, mais c'est souvent le cas des femmes dans les westerns.
La brune, Sarah, est la première à faire son apparition, mais pendant longtemps elle va rester celle qui regarde l'étranger d'un œil mauvais parce qu'elle sent que c'est un salaud et qui ne dit rien (mais ça se voit qu'elle n'en pense pas moins). Évidemment, elle va céder à l'étranger tellement ténébreux et captivant, mais pas du tout pour les mêmes raisons que notre blondinette.
Notre blondinette, Callie, m'a fait penser à Renée Zellweger dans Appaloosa (ou alors le contraire, enfin bref). On peut dire que c'est le genre de femme qui veut être possédée par un homme puissant, mais qui, si elle se fait repousser, va le lui faire payer. Des deux personnages c'est elle la moins intéressante puisqu'on la cerne très vite.
À mon sens, Sarah est la seule de la ville à être quelqu'un d'honnête, on voit d'ailleurs lors des flashbacks que c'est la seule à avoir voulu arrêter la mise à mort du Marshall Duncan (l'homme qui se fait fouetter). C'est peut être même la seule du film à ne pas avoir peur de l'inconnu, elle ne lui cède pas parce qu'il est fort, énigmatique ou je-ne-sais-quoi, mais plutôt parce qu'elle est lasse et qu'en plus son mari n'a rien fait pour empêcher qu'elle soit avec lui. Notons le court dialogue (en gros) entre elle et l'étranger « Tu fais peur et c'est dangereux. - Ils ont peur parce qu'ils ont quelque chose sur la conscience. »

J'ai trouvé les hommes de Lago assez effacés, probablement pour faire un contraste avec l'étranger. Ils sont d'abord tous très soumis, très trouillards, puis, quand ils commencent à en avoir franchement marre des manières de l'inconnu, ils tentent de se rebeller et se font écraser (bien évidemment). Mais il n'y a pas qu'avec l'inconnu qu'ils se comportent ainsi. En effet, lors des flashbacks, on voit très bien qu'ils sont tous restés debout à leur porte, pour observer la mise à mort du Marshall, sans rien faire, à demi dans l'ombre.

Les trois méchants, Stacey Bridges et les frères Carlin, ont des bonnes têtes de méchants (d'ailleurs je ne sais pas vous, mais je me suis toujours demandé ce que ça faisait d'avoir une tête de méchant, surtout quand on ne l'est pas).



On les voit peu : leur rapide sortie de prison, le moment où ils récupèrent des chevaux, leur arrivée en ville (attention spoiler dont tout le monde se doute) et quand ils se font dégommer par l'inconnu. On les voit dans les flashbacks également puisque ce sont eux qui tuent le Marshall à coups de fouet (fin du spoiler).


c'est moi qui ai le fouet maintenant

Et évidemment, il y a l'inconnu. Au départ on peut avoir un peu de mal à le cerner, il a beau être un gros salaud, ça ne l'empêche pas de donner des couvertures et des bonbons à une famille d'indiens sans le sous, mais on comprend vite que sa seule motivation est de faire chier les habitants de la ville.

(Spoiler)

Tout le film va tourner autour de l'identité de cet inconnu, c'est quelque chose qui hante le film dès le début. On se doute qu'il y a un lien avec le Marshall Duncan, mais on ne sait pas quoi : est ce le frère ? Le cousin au troisième degré ? Le meilleur ami ? Le fantôme ?
Je voudrais souligner que la version française casse horriblement tout le mystère qui tourne autour de son identité, ce qui casse une bonne partie du film à mon sens. En effet, quand l'inconnu s'en va à la fin, il croise le nain en train de graver le nom du Marshall Duncan sur la tombe (qui était jusqu'à présent vierge). Deux versions :
VO : « I never did know your name - Yes you do. Take care. » et il s'en va, laissant le nain surpris mais toujours sans réponse.
VF : « J'ai jamais su votre nom. - C'est celui que tu graves, celui de mon frère, prends en soin. » et l'inconnu s'en va en laissant le nain surpris mais avec sa réponse.
Je ne sais pas vous, mais j'aurais été Clint Eastwood, j'aurais porté plainte pour libre interprétation d'une fin qui casse tout le film. C'est vrai, le fait de savoir qui il est casse tout l'effet mystique, brouillard, ambiance malsaine du film. On aurait pu avoir un certain malaise jusqu'au bout, on aurait pu se dire « mais punaise qui sait ?! », malgré toutes les hypothèses possibles on serait resté sur notre faim (un peu comme pour la valise dans Pulp Fiction, c'est de l'or ou pas ?). Et c'est ça qui est génial dans ce film, c'est ça qui confère toute la puissance au rôle de l'étranger, c'est un étranger, un inconnu, un mec tout droit sorti de l'enfer pour faire payer aux habitants et aux méchants. Mais là on se dit « ah ouais, c'est son frère... ouais, on s'en doute un peu au final, pas terrible comme fin, peut mieux faire ». Enfin bref, faut le voir en VO hein.

(fin du spoiler)

J'ai noté une certaine ressemblance entre cet inconnu et celui que Clint Eastwood incarnera quelques années plus tard dans Pale Rider : un homme sans nom, habillé en noir, sur un cheval blanc (ou en tout cas clair), et qui n'a pas forcément des manières très « morales ». Il y a également un aspect mystique dans Pale Rider, avec une association à l'enfer puisque le cavalier apparaît alors que la jeune fille lit le passage des Quatre de l'Apocalypse, et plus particulièrement le passage sur la Mort.

En clair, l'Homme des hautes plaines est un western comme on en voit peu. C'est un film qui va au delà des westerns traditionnels avec règlements de compte au saloon, coups de feu dans tous les sens et plus vite que l'éclair, bruits d'éperons qui enlèvent toutes discrétion, en gros c'est un film à voir. Et puis, c'est Clint quoi.

Ainsi tout finit avec un mirage, une musique discordante, un cavalier qui rentre peu à peu dans le brouillard tel un fantôme, un fantôme sans nom.

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