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vendredi 8 octobre 2010

Sacré Graal des Monty Pythons (1974) by Cowboy

We’re the Knights of the Round Table

Pour profiter au mieux de cet article, veuillez passer ce thème en fond sonore, en boucle.

I am Arthur, King of the Bretons


De gauche à droite: Graham Chapman, John Cleese, Eric Idle, Terry Jones, Terry Gilliam, Michael Palin

Nous sommes en 1974, les Monty Pythons se sont désormais imposés dans le paysage culturel Anglais. Ils ont achevé leur troisième série de Flying Circus, et de faire des tournées live, d’enregistrer des albums et d’écrire des livres. C’est donc tout naturellement qu’ils vont se tourner vers le média cinématographique.
Leur première expérience au cinéma, And now for something completely different, qui n’était qu’une reprise de leurs plus célèbres sketchs, n’a pas obtenu le succès escompté, à savoir ouvrir les portes du marché Américain à la troupe. Cependant, les Pythons remontent en selle (pas littéralement !) et s’attaquent à leur premier film composé de matériel original.
Ce sont Michael Palin et Terry Jones qui sont à l’origine de l’idée de base du scénario, à savoir parodier les légendes Arthuriennes. Rappelons que Terry Jones est féru d’histoire médiévale, et qu’avec son camarade Michael Palin, ils avaient réalisé The Complete and Utter History of Britain avant d’entrer dans les Monty Pythons, et que depuis 1995, Jones réalise ou participe à de véritables documentaires historiques (tandis que Palin joue les globe-trotters…).
Seulement, malgré leur popularité, peu de gens sont prêts à investir dans cette épopée loufoque. L’argent viendra, tenez-vous bien, des plus grands groupes de rock de l’époque : Led Zeppelin, Pink Floyd, et les Beatles (enfin surtout Georges Harrison, même si il parait que les quatre Beatles arrêtaient immanquablement leurs sessions d’enregistrement le temps d’aller voir Flying Circus). Echange de bons procédés entre grands artistes, en quelque sorte. Enfin surtout fanitude béate associée à un fort pouvoir d’achat, en fait. Et c’est donc avec le budget pharaonique de £229,575 que la troupe va devoir réaliser la plus grande épopée jamais conçue, celle à côté de laquelle Ben-Hur fait documentaire (sic).



And now on to scene 24. A smashing scene with some lovely acting, in which Arthur discovers a vital clue, and in which there aren't any swallows, though I think you can hear a starling...

Alors, quand on chronique un film, on en arrive fatalement au moment où l’on doit prodiguer un synopsis au lecteur…mais avec les Monty Pythons, ça n’est jamais évident. Essayons quand même :
Ce film nous narre les aventures d’Arthur, roi des Anglais, et des chevaliers de la table ronde dans leur quête du Graal.
Ça fait court, j’en conviens, mais après, si l’on doit rentrer dans les détails, je ne suis pas sorti. Et puis vous l’avez tous vu. Bon, d’accord, je cède au plaisir de la taxinomie, un bref rappel quand même : dans ce film, il est question d’ornithologie, de la rivalité franco-anglaise, de sociétés autonomes vaguement marxistes, de la peste noir, de chevaliers qui se démembrent et s’entretuent joyeusement, de gens qui ne sont pas tout à fait morts et qui devraient même s’en sortir, de sorciers pyromanes, d’énigmes, de mariages, de chasse aux sorcières, de meurtres inexpliqués d’historiens, de jeunes nonnes perverses, de chevaliers qui disent Ni et veulent des jardinets, de lapin tueur, de monstres en dessins animés, de Géants tricéphales en pleine thérapie de groupe, de Terry Gilliam qui fait une crise cardiaque, de blaireaux géants en bois, de…du Graal, un peu, quand même, à la fin, même si on ne le voit pas.
Un joyeux bordel façon Monty Python, raccordé avec soins et nonsense par l’illustre Terry Gilliam, qui, comme mentionné précédemment, mourra pendant le tournage alors qu’il s’appliquait à pratiquer son art ancestral, celui de l’animation, principal procédé depuis la série pour créer des transitions entre ce fouillis chaotique de sketchs. En cela, le film se rapproche énormément du premier produit des Pythons, ce qui sera abandonné dans la Vie de Brian, et utilisé bien plus parcimonieusement dans le Sens de la Vie (déjà chroniqué ici même par votre serviteur).

It’s only a model…



Ce qui m’amène à la partie technique. Non, ce film n’est pas techniquement un chef d’œuvre du 7ème art. Une comédie désopilante, certes, mais cinématographiquement, c’est juste extrêmement cheap, et si on ne passait pas son temps à rire et qu’on accordait un peu d’importance aux détails, on verrait que ce film a vraiment été fait dans l’urgence, dans un chaos inénarrable.

La première chose à dire, c’est que les Pythons ne voulaient plus de Ian MacNaughton, réalisateur des trois premières séries de Flying Circus, alcoolique notoire, qui ne travaillait que le matin puisqu’il était déjà ivre mort à midi (c’était donc Terry Jones qui continuait le travail à sa place). Ce sont donc tout naturellement les deux Terry, Jones et Gilliam, qui ont endossé ce rôle, puisque les deux avaient des prétentions directoriales. Sauf que sur le tournage, cet arrangement s’est très mal déroulé, les deux ayant un style complètement différent. Jones privilégiait la comédie, et Gilliam le côté visuel ; on se retrouvait donc à entendre Jones dire qu’une prise était parfaitement hilarante, tandis que Gilliam demandait à la refaire parce qu’il n’y avait pas assez de brouillard. Au final, sûrement après délibération, c’est Jones qui a eu le dessus, et qui réalisera par la suite La Vie de Brian et Le Sens de la Vie, même si Gilliam restera directeur artistique, et fort heureusement, d’ailleurs, puisque sa touche se ressent vraiment dans les trois films des Pythons. Gilliam ira d’ailleurs tourner son film médiéval plus tard, avec Jabberwocky, qu’il est impossible de ne pas comparer à Sacré Graal.

Pour continuer la bérézina côté matériel, les cottes de mailles étaient en réalité de la laine peinte en couleur argentée, mais celle-ci prenait l’eau et moisissait. Certains décors étaient extrêmement difficiles d’accès, et les problèmes techniques se sont multipliés, notamment avec la destruction d’une caméra dès le début du tournage. A côté de cela, les Pythons avaient un accord avec le gouvernement Ecossais pour filmer plusieurs châteaux, mais au dernier moment, celui-ci s’est désisté, prétextant que Sacré Graal allait souiller la mémoire de leurs ancêtres, si bien que les Pythons ont du trouver un arrangement avec un propriétaire privé pour filmer sa demeure. Au final, touts les plans proviennent soit du même château, soit de maquettes (ce qui permet la blague de Patsy\Terry Gilliam : « it’s only a model… »). Le film a prit un retard considérable, et le planning a dû être raccourci, avec les conséquences que l’on peut imaginer. C’est même visible dès le générique de départ, constitué simplement de cartons dans lesquels sont disséminés, dans la plus pure tradition des génériques de fin de Flying Circus, un drôle de discours sur un élan et des noms et des métiers loufoques, et qui aura pour conséquences quelques licenciements…



Your mother was a hamster and your father smelt of elderberries

Enfin, outre cette petite guéguerre entre Jones et Gilliam, il convient de mentionner le fait que Graham Chapman, le rôle principal (Arthur, quoi…merde, suivez, un peu !), était à l’époque au plus bas, qu’il était complètement sous le coup de l’alcoolisme. De là, il avait un mal fou à se souvenir de ses répliques. John Cleese raconte que Chapman, qui était pourtant un alpiniste chevronné, n’a pas pu traverser un pont suspendu, et qu’on a du envoyer quelqu’un d’autre à sa place avec son armure. Alors certes, ça lui donne cet air brumeux, complètement à côté de ses pompes (on a même l’impression qu’il est le seul à ne pas jouer la comédie, dans le film), mais à posteriori, Chapman a su reproduire les mêmes impressions plus tard dans le rôle de Brian, et ce en étant sobre.

Ce qui, notez la transition d’une subtilité à peu près aussi remarquable qu’une vache qu’on aurait fetché dans un corridor, me fait passer à l’interprétation en général.

Et là, évidemment, c’est du Python, donc c’est génial. Enfin si on aime l’humour anglais. Sinon, ça doit être d’un ennui mortel. Bref, John Cleese est fabuleux dans le rôle du sanguinaire Lancelot et de celui qu’on appelle…Tim ! le sorcier. Il est également le chevalier noir et a assuré ses cascades lui-même. Jones est désopilant en jouant le soi-disant sage Bedevere avec sa visière qui lui tombe tout le temps sur la gueule. Son rôle de jeune prince est assez remarquable, surtout qu’il a du raser sa fameuse moustache. Eric Idle interprête le brave sir Robin, qui mouille souvent son armure, ou encore Concorde, le page réticent à mourir. Michael Palin se charge quant à lui du chaste Gallahad, qui aura bien du mal à le rester au château Anthrax…à noter également, son rôle du roi du château des marais, où il hausse pas mal le ton (ceux qui le connaissent savent qu’il est prétendant au titre d’homme le plus gentil du monde) ou dans celui du chevalier qui fait Ni, perché sur un escabeau pendant des heures à répéter Ni. Ni, Ni ! Terry Gilliam joue notamment le fidèle Patsy, qui suit Arthur avec la fameuse noix de coco, mais aussi le chevalier vert (cascades himself, comme Cleese), le gardien du pont (à peine reconnaissable), Sir Bors (le premier chevalier qui se fait dézinguer par la Bête) ou encore le gorille qui assassine le narrateur et tourne les pages du grimoire-script. Notons aussi Graham Chapman, qui, outre Arthur et deux petits rôles (un garde un peu niais et une des têtes du Géant), incarne la voix de Dieu.
Enfin, notons la participation de Connie Booth (qui a été la femme de John Cleese, et dont les amateurs de Fawlty Towers doivent être familiers) dans le rôle de la sorcière, de l’immanquable Carol Cleveland dans le rôle de Zout et de sa sœur jumelle au château Anthrax, et de Neil Innes, principal compositeur de la bande-son, dans le rôle du barde (celui qui chante ’brave sir Robin’ et du page qui se fait écraser par le lapin en bois géant.

Stop the music ! Stop it!

La bande-son est absolument mémorable. Tin-tintin-tintintin tin !
Pourtant, il faut savoir que ce thème héroïque n’était pas prévu à l’origine pour être la BO du film, les Pythons avaient d’abord fait une bande-son avec des instruments traditionnels, mais, suite aux projections tests, ils se sont aperçus qu’elle était complètement en décalage avec le film, et que certaines scènes étaient littéralement plombées par cette ambiance sonore si sérieuse. Ils ont donc décidé de la remplacer par un véritable cliché du film moyenâgeux, extrêmement exubérante, mais qui vient rendre parfaitement l’aspect parodique du film.
Il faut également parler des chansons, toutes l’œuvre du précédemment mentionné Neil Innes, l’une des quelques personnes en lice pour la place de « septième Python », et s’il n’y a rien d’aussi inoubliable que dans les deux films suivants, j’adore la balade de Sir Robin, à titre personnel. Il est à noter qu’à ma connaissance, Eric Idle, pourtant chansonnier principal du groupe, n’a pas participé, ou alors pas suffisamment pour être crédité dans les compositions. En revanche, ce sont Graham Chapman et John Cleese qui signent Camelot Song.

Oh, king eh? Very nice. And how'd you get that, eh? By exploiting the workers. By hanging on to outdated imperialist dogma which perpetuates the economic and social differences in our society.



Souvent, quand on dit Monty Python, les gens pensent que tout ça n’est qu’un immense fatras de conneries nonsense. Et bien ils se trompent. Les Pythons sont loin d’être idiot, ou en tout cas, ils sont idiots uniquement quand ils en ressentent le besoin, et ce bien souvent dans le but de bousculer un ordre établi qu’ils jugent insensé. Sacré Graal n’est peut-être pas leur oeuvre la plus mature, elle n’est cependant pas dénuée d’intérêt. En effet, ce film, par sa nature, m’apparaît être une œuvre sur la puissance de l’imagination, de l’image, de la frontière entre réalité et fantastique. Nul ne saurait dire de quoi il est réellement question, à la fin, qui sont ces chevaliers qui se font arrêter par la police, comment un tel chaos a pu se mettre en place. La scène de la noix de coco est également très évocatrice. D’abord, on rit de voir Arthur mimer d’être sur un cheval, puis on s’habitue, on fait comme si on y croyait, on s’abandonne à ce subterfuge, et, enfin, les Pythons viennent nous mettre face à notre propre crédibilité en pointant du doigt l’impossibilité de trouver une noix de coco dans cette région. Sauf si c’est une hirondelle d’Afrique qui l’aurait transporté par la tige, mais c’est impossible puisqu’elle n’est pas migratrice. Et puis, il y a les animations de Gilliam, qui viennent interagir avec le ‘vrai film’, sans que l’on se pose trop de question. Même, la majorité des acteurs brisent l’une des règles fondamentales du cinéma, à savoir ne pas regarder droit dans la caméra. La narration décousue est aussi sujette à de nombreuses bizarreries, au final, c’est un gorille (incarné par Terry G) avec la voix de Michael Palin qui vient tourner les pages du vieux livre en nous faisant sauter directement à la scène 24 et en la commentant allègrement (le bon vieux coup du narrateur intrusif façon Tristram Shandy…).

Le détournement des codes est également un élément important, du travestissement des légendes Arthuriennes à la réinterprétation absurde du mythe du cheval de Troie. La scène la plus intéressante à ce niveau est celle où Arthur s’adresse à Dieu, et celui-ci lui répète constamment de ne pas s’en tenir au protocole, qu’il déteste tout ça.

Je passe sur une hypothétique contestation de la monarchie, c’est suffisamment explicite, entre le « I didn’t vote for you » et l’air effaré d’un Arthur qui n’y comprends rien pendant tout le film, tout en continuant à clamer son droit à régner sur ses sujets.
Bedevere constitue quant à lui une critique de la démagogie, Lancelot de la violence aveugle, Robin de la couardise, Gallahad de la tentation, Patsy du pragmatisme borné. Bref, la majorité des éléments de ce bouillon sont motivés par quelque chose, même si ça passe souvent à la trappe vu qu’on ne regarde que le côté comique.

...and that, my liege, is how we know the Earth to be banana shaped.

Voilà, j’espère que vous en savez dorénavant un peu plus sur ce film cultissime, les conditions hasardeuses dans lesquelles il a été fait, ce que sont ses forces et ses faiblesses, quel est le sens de la vie, où se trouverait le saint-Aaaaaaaaaaaargggggh…

Le mot de la fin

Ni !

L’autre mot de la fin

Run away !

L’autre autre mot de la fin

Get on with it!

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